Route de nuit - l'auto-philo de Matthew B. Crawford
Non, la philosophie n'est pas barbante. Le but de cette pratique consistant à s'interroger sur soi-même, et ses propres pratiques, la philo et l'auto devaient finir pas se rencontrer. L'américain Matthew B. Crawford était le garçon idéal pour organiser la rencontre : il est prof de philo à l'université de Virginie, tout en tenant un atelier de mécanique.
On pourrait traiter le philosophe américain de réac. Et l'on aurait tort. Même si Eric Zemmour a compris ainsi, et a validé dans ce sens la thèse de Matthew B. Crawford qu'il reprend à son compte. Il est sinon hasardeux, du moins réducteur, de lui coller cette étiquette dans un sempiternel "c'était mieux avant" dont le journaliste du Figaro et de C News s'est fait le chantre, en n'hésitant pas au passage à lire entre les lignes de Prendre la route, une forme de souverainisme.
Sauf que dans son dernier ouvrage, le prof de philo de l'université de Virginie, qui est également le patron d'une petite boîte de réparation et de restauration de motos américaines ne se revendique pas dans une telle régression. Il s'interroge, et nous interroge avant tout sur notre rapport à la belle ouvrage, sur la relation entre le travail physique et intellectuel. En l'occurrence, sur la forme d'intelligence qu'il faut fournir, et qu'il doit fournir, pour restaurer une Coccinelle Volkswagen de 1975. Pour le philosophe, la tête, les jambes et leur relation nécessaire fonctionnent comme les pignons et l'arbre à came qui, ensemble font tourner le moteur de la Cox en particulier, et de l'existence en général.
La saga de cette restauration est épique, amusante et utile à la fois, puisqu'elle nous projette évidemment plus loin que les entrailles du 4 cylindres à plat qu'il tente de remettre d'aplomb. Car l'auteur nous parle de liberté et surtout de celle qu'il lie intimement à la pratique de l'automobile. "Conduire, c'est exercer sa capacité à être libre, voilà semble-t-il une qualité qui mérite d'être préservée" conclut-il à la fin de son livre, après avoir fustigé en vrac toutes les barrières qui nous empêchent justement de la préserver : la voiture autonome, le "complexe sécuritaire" des États qui tendent par tous les moyens vers les "zéros morts" sur les routes.
Un avenir dépendant des machines
Pour Crawford, ces forces sécuritaires et technologiques en mouvement amputent les automobilistes, et plus largement les êtres humains, de nombre de leurs facultés de création et d'autonomie. Il va plus loin, en suggérant que cette déresponsabilisation nous conduit tout droit dans les bras des intelligences artificielles qu'il désigne et accuse : les Gafa, et en premier lieu Google. Est-il réactionnaire pour autant ? Vouloir, comme Mathew B.Crawford, que dans le futur les machines soient à notre service et non l'inverse, ne se traduit pas forcément par une régression sociétale comme certains l'entendent. Mais plutôt par une vision de l'avenir plus sereine.
Prendre la route - Une philosophie de la conduite - Matthew B. Crawford aux Éditions de la Découverte - 23 euros.
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