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Le « badge engineering », l’idée la plus bête de l’histoire automobile

Dans Economie / Politique / Industrie

Stéphane Schlesinger , mis à jour

Appeler un chat un chien et croire que le client n’y verra que du feu, voici une idée funeste qui hélas a été mise en application par bien des constructeurs, d’abord aux Etats-Unis, mais aussi en Europe.

Le « badge engineering », l’idée la plus bête de l’histoire automobile

Je me rappelle les mines embarrassées des gens de Lancia quand il leur a fallu expliquer aux journalistes (du moins, ceux qui ont un minimum de culture automobile) que la Thema de deuxième génération respectait parfaitement l’ADN de leur constructeur. Car il ne s’agissait que d’une Chrysler 300 rebadgée et très légèrement modifiée à la marge. C’est ce qu’on appelle le « badge engineering » : on prend une voiture, on la présente sous une autre marque et hop, on tente de faire croire que c’est une nouveauté. On se rappellera la fameuse formule des Inconnus : "ne pas prendre les clients pour des cons mais ne pas oublier qu'ils en sont."

Evidemment, ça ne marche pas. La Thema II a été un flop total en Europe, alors que si elle s’était appelée Chrysler, je pense qu’elle aurait trouvé son public. Il en va de même pour la Lancia Flavia II, une Chrysler 200 affublée du logo de la marque de Chivasso, voire de la Chrysler Delta, nom de la Lancia Delta au Royaume-Uni. Tout ceci n’a en réalité que précipité le célèbre constructeur italien au fond d’un abîme au-dessus duquel il se trouvait en équilibre instable depuis un certain temps déjà.

Derrière le badge Lancia Flavia se cache en fait une Chrysler 200 Cabriolet de 2012. La clientèle n'a pas du tout suivi et le presitgieux nom Lancia a été abimé...
Derrière le badge Lancia Flavia se cache en fait une Chrysler 200 Cabriolet de 2012. La clientèle n'a pas du tout suivi et le presitgieux nom Lancia a été abimé...

Le badge engineering n’a qu’un seul effet à long terme : vider une marque de sa substance, donc la tuer. Il n’y a que les décideurs dépourvus de culture automobile pour ne pas le comprendre. Je me rappelle m’être fait expliquer par un de ces types que pour sauver Fiat, il suffirait d’en badger tous les modèles… Ferrari. Si une telle méthode avait été appliquée, les deux constructeurs auraient à coup sûr disparu !

En tout cas, la décision de feu Sergio Marchionne, ancien patron du Groupe Fiat, de recourir au « badge engineering » pour sauver Lancia est d’autant plus incompréhensible qu’il ne pouvait pas ne pas en avoir déjà vu les effets néfastes. Il a aussi autorisé la commercialisation de l’ineffable Fiat Freemont, une Dodge Journey dotée de diesels italiens (c’est toujours ça de local). Sa formation de banquier l’en aurait-elle empêché ? En tout cas, sa culture américaine aurait dû l’alerter !

Car chez GM, qui fut longtemps le plus grand constructeur du monde, le badge engineering a fait des ravages. Jusque dans les années 70, les marques qui composaient le groupe US arrivaient tant bien que mal à proposer des autos un poil spécifiques. Les moteurs n’étaient pas forcément les mêmes chez Pontiac, concevant ses propres V8, que chez Chevrolet, qui en avait d’autres.

Ceci est une Cadillac Cimarron en 1982, une Chervolet Cavalier un peu plus luxueuse... et chère. Elle devait concurrencer la BMW Série 3 : ça a fait rigoler les acheteurs.
Ceci est une Cadillac Cimarron en 1982, une Chervolet Cavalier un peu plus luxueuse... et chère. Elle devait concurrencer la BMW Série 3 : ça a fait rigoler les acheteurs.

Puis, dans les années 80, la production de GM s’est uniformisée à outrances, ôtant aux blasons leurs spécificités, ce qui a achevé de dérouter la clientèle. Résultat, Pontiac et Oldsmobile, deux noms pourtant emblématiques, ont disparu, alors que Saturn et Geo n’ont été que des feux de paille. Et GM a frôlé la dissolution.

Un processus similaire s’est produit dans le groupe Chrysler, qui a envoyé Plymouth au rebut, et Ford, qui n’a pu que se débarrasser de Mercury (une marque artificielle dès son apparition cela dit). En remontant aux années 50, on s’aperçoit qu’un sort comparable s’est abattu sur la mythique Packard, qui ne produisait plus que des Studebaker vaguement relookées. Les « Big Three » ont même poussé la loufoquerie jusqu’à vendre sous leur propre marque des voitures conçues par d’autres : la Ford Escort américaine n’était à une époque qu’une Mazda 323 à peine relookée, la Plymouth Laser une Mitsubishi Eclipse et la Geo Metro une Suzuki Swift. Pour ne citer qu’elles.

 

La Plymouth Laser de 1990 n'est au autre qu'une Eclipse de Mitsubishi, qui fournira longtemps Chrysler en plateformes.
La Plymouth Laser de 1990 n'est au autre qu'une Eclipse de Mitsubishi, qui fournira longtemps Chrysler en plateformes.

En Europe, outre Lancia, Renault a beaucoup pratiqué, avec une persévérance dans l’échec qui force le respect, le « badge engineering ». On se rappellera l’ineffable Renault Rambler des années 60, une AMC frappée du losange qui n’a rencontré aucun succès. Plus récemment, l’ex-Régie a tenté de nous refaire le coup avec les Latitude et Koleos, des Samsung, en fait respectivement des SM5 III et QM5, fabriquées en Corée. Elles n’ont rencontré qu’un succès très mitigé, et leurs remplaçantes Talisman et Koleos II, également proposées en Corée, n'ont pas réussi à inverser la tendance. Résultat, Renault n’a plus de haut de gamme.

Une Renault Koleos ? Non, une Samsung QM5 !
Une Renault Koleos ? Non, une Samsung QM5 !

Là encore, on se demande si certains décideurs autocratiques et mégalomanes n’ont pas eu la vision raccourcie par leurs sourcils broussailleux. Il leur aurait suffi d’examiner la destinée funeste de British Leyland outre-Manche. Le groupe britannique a sombré d’abord à cause de la qualité désastreuse de ses productions, ensuite par un « badge engineering » sauvage. Vous rappelez l’excellente Austin 1100/1300 des années 60 ? Elle a été commercialisée sous… six marques différentes : Austin, Innocenti, MG, Morris, Riley et Van den Plas. Tous ces blasons ont disparu, Fiat ayant achevé Innocenti après l’avoir repris en lui faisant commercialiser des dérivés brésiliens de la Uno…

Une MG 1100, en fait une BMC ADO 16 sous l'un de ses six badges, en 1965. Cette multiplication des marques déroutera la clientèle.
Une MG 1100, en fait une BMC ADO 16 sous l'un de ses six badges, en 1965. Cette multiplication des marques déroutera la clientèle.

A l’heure actuelle, le badge engineering est toujours pratiqué, mais moins qu’avant. Par exemple, les Suzuki Swace et Across sont en réalité des Toyota.

La flexibilité de l’outil industriel et des plateformes est telle qu’elle le rend pratiquement caduc. On conçoit une base technique et on la vend sous une pléthore de marques, les éléments différenciants étant d’abord la carrosserie et l’habitacle. Tout le monde recourt à cette stratégie, Renault-Nissan, Stellantis, GM, Ford, le Groupe VW, BMW, Mercedes, Volvo-Geely, Jaguar-Rover, Toyota, sans compter les innombrables marques chinoises. En résulte une uniformisation technique assez désespérante dont on peut craindre qu’à l’instar du « badge engineering », elle n’entraîne la disparition de bien des blasons, privés d’une quelconque raison d’être.

Une Alfa Romeo Tonale ? Non, une Dodge Hornet. Certes, les extrémités ont été modifiées, et la Dodge a droit à des moteurs plus puissants, mais on n'est pas loin du "badge engineering".
Une Alfa Romeo Tonale ? Non, une Dodge Hornet. Certes, les extrémités ont été modifiées, et la Dodge a droit à des moteurs plus puissants, mais on n'est pas loin du "badge engineering".

Dans les années 70, entre une Citroën GS, une Opel Kadett et une Peugeot 304, on avait trois autos très différentes en tous points. A l’heure actuelle, entre une DS4, une Opel Astra et une Peugeot 308, on a trois fois la même voiture sous des enveloppes spécifiques. Et inutile de reluquer du côté du Groupe VW : il recourt à des solutions techniques similaires à celles de Stellantis. Toutes les tractions actuelles à moteur transversal, d’où qu’elles viennent, conservent l’architecture inaugurée par la Fiat 128 en… 1969.

Je sais bien que l’immense majorité de la clientèle actuelle s’en moque, mais à terme, ne sommes-nous pas en train d’ouvrir la voie à deux énormes constructeurs généralistes qui depuis la Chine produiraient deux autos électriques plus ou moins bon marché vendues sous des marques et des apparences diverses dans le monde ? Un peu à l’image de ce qu’il se passe dans la téléphonie…

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