2. Essai - Triumph Tiger 660 Sport : the aïe of the Tiger
Rarement les premiers kilomètres au guidon d'une moto récente nous auront autant mis dans une position aussi curieuse, au sens propre comme au sens figuré. Autant la Tiger met physiquement à l'aise de nombreux gabarits, autant elle est simple à emmener en agglomération et en ligne droite, autant les premiers virages, bosses et déclenchements d'ABS font comprendre qu'elle n'est pas une moto comme les autres, pas une moto ordinaire. Surtout si l'on entend l'emmener fort.
Un moteur aussi Street que Sport
Pourtant, tout commence bien, avec une maniabilité renforcée par une direction légère à l'angle de chasse plus refermé, confortée par une position de conduite résolument agréable et droite. Une fois en route (remarquons au passage le démarrage par clef codée), le trois cylindres ronronne et fait montre d'une douceur probante. Inutile de pousser les rapports, se limiter à une plage d'utilisation entre 3 000 et 7 000 tr/min, c'est tirer le meilleur de la mécanique et de son couple. Un point prometteur pour la version A2, privée de 46 kW et dont la puissance maximale de 35 kW est obtenue juste avant les 6 000 tr/min.
Sans toucher à l'accélérateur, on peut monter les rapports, accompagné par un regain de tr/min naturellement programmé. Même par mégarde, il est possible de démarrer sur les rapports intermédiaires et de relancer depuis un presque arrêt sur la 5 (rond point), ou encore d'évoluer en 6 sur le régime de ralenti à un peu plus de 35 km/h. Le tout sans coup férir ni protestation d'ordre mécanique (cliquetis, toux ou autre). L'agrément du "mini trois" est immédiat et le mode d'emploi intuitif à souhaits.
Haute sur pattes, avec un guidon lui aussi haut placé, la Tiger renforce les sensations d'accélération, cultivant un côté énergique bienvenu, mâtiné de rondeur. Une fois de plus, le bloc 660 démontre qu'il en a sous les soupapes, et qu'il sait être particulièrement polyvalent. Il prouve aussi qu'il peut avoir plusieurs visages en fonction de votre degré de confiance et d'accélération. Quel que soit le mode, par contre, la zone de 8 à 6 000tr/min marque une inflexion dans la montée en régime, principalement sur la deuxième tranche de la boîte de vitesses (de la 4 à la 6). Une sorte de respiration avant de repartir de plus belle à 7 000 tr/min et jusqu'à la coupure moteur située au-dessus de 10 000 révolutions minute. Un régal d'équilibre entre force et puissance, entre linéarité et caractère. C'est tout juste, tout bien, tout bon. Et cela que l'on soit en mode Rain ou en mode Road, TC activé ou non (Contrôle de Traction).
Haute protection
Pour l'heure, tirons un peu sur les rapports. La première atteint 72 km/h, la seconde 101, la troisième 130 environ, soit des valeurs semblables à celles de la Trident. Quoi de plus normal, le moteur comme les rapport de boîte et la transmission finale sont identiques. En 6, presque sur multipliée, on se cale à 130 km/h et 6 250 tr/min, tandis que la consommation moyenne s'établit à 5,6 l/100 km environ. Pare brise en position haute et presque verticale, seul un petit sifflement se fait entendre dans le casque, tandis que l'on ressent une pression mesurée sur l'intérieur bas des épaules (oui, ça aère les dessous-de-bras), mais que les turbulences sont absentes. Un très bon point supplémentaire.
En position basse, la bulle est nettement moins convaincante. Si l'on respire mieux dans le casque, la pression de l'air et surtout les sifflements incitent à opter pour l'une des 6 autres positions, en fonction de votre taille. Avec 1,80 m à la toise, on opte immédiatement pour la plus haute, sans retour en arrière possible et sans gène visuelle. Sur le dessus des cuisses, l'air se plaque fortement, ne présageant pas que du bon à la saison fraîche, à moins que le moteur ne parvienne à réchauffer jusque-là. En effet, on ressent la chaleur deu moteur sur les mollets et derrière les cuisses, malgré la relative fraîcheur ambiance (une quinzaine de degrés). Décidément, cette motorisation va bien au teint de ce type de moto...
De prime abord, donc, voici une pure réussite, d'autant plus que les suspensions sont tout aussi à l'aise que les pneumatiques en ville : la fermeté répond au confort, tandis que la selle se montre par contre relativement dure, mais de manière supportable. Heureusement, sa forme permet de se délasser en route. Alors, tout auréolé de cette confiance et de ces (re)marques, on attaque gaillardement la partie la plus technique de notre trajet…
L'aïe du tigre
Erreur. L'affaire se corse (un comble en Algarve) lorsque nous abordons les petits virages nous menant au premier arrêt. Traction control désactivé dès le départ, on s'élance. Dans les collines denses, on danse. Les alertes semblent venir des pneumatiques, qui se mettent à glisser lorsqu'on souhaite enrouler vivement une courbe : l'avant ne suit pas, micro pioche et dérape en douceur. Aïe. Quant à l'arrière, il est plus serein, fort de ses 180 de large, mais il ne tarde pas non plus à accompagner l'avant dans ses ripages. Soit. La glisse est progressive et le raccrochage tout autant. C'est intégré, on peut aimer, tant que le danger ne pointe pas son nez. Ce qu'il ne tarde pas à faire.
Vient ensuite un phénomène lié au freinage à proprement parler. Re aïe. Actionner le levier droit en courbe relève la direction (l'angle de colonne est très fermé). Soit. Surtout, il induit un petit mouvement de l'arrière qui se répercute rapidement et que l'on ne parvient pas à compenser avec la pédale de frein. Un frein arrière à oublier absolument si le terrain n'est pas assez lisse ou plat. D'accord. Difficile dès lors de trouver de la constance, de doser entre l'excellence et la force obtenues par moments et l'activation brouillonne de l'anti blocage à d'autres. Diantre. Quelque chose le perturbe, en tout cas. Rapidement (c'est le cas de le dire), un troisième paramètre entre en jeu : l'amortissement. Et là, on sent qu'il va falloir trouver le mode d'emploi pour ne pas se faire surprendre et pour retrouver la confiance en berne. Aussi l'avons nous cherché, en même temps que certaines limites à ne pas franchir.
Un comportement à dompter
La pause café du matin, une cinquantaine de kilomètres après la prise en mains, est l'occasion de poser de nombreuses questions, mais surtout de faire retomber doutes et pression. D'une part, il est possible de jouer sur la molette de l'amortisseur afin d'apporter un peu plus de poids sur l'avant. Ce que nous faisons en roulant. Voici qui améliore le ressenti, pose mieux la moto sans nuire à son inscription en courbe. Un bon point. Mais alors, quel style de conduite adopter et surtout, que risque-t-on ?
La réponse nous arrive rapidement. À mesure que la vitesse s'emballe, le frein arrière se retrouve dépassé lorsque l'a fourche allège l'arrière sur un freinage de l'avant plus ou moins appuyé, plus ou moins prononcé. Ou encore suite au délestage sur une crête de bosse, déclenchant aussitôt l'ABS trop précautionneux et pas assez fin dans ses réactions, dans sa définition. Arrive en un clignement de cils une ondulation dans les suspensions suite à des successions de blocage/relâche du frein. OK. On la refait. Remuante, la Tiger !
La règle des trois
Ce phénomène, sorite de triangle des Bermudes de la Tiger 660 dans lequel on n'aime pas s'aventurer, c'est ce que nous avons nommé la règle des trois. Trois paramètres, trois piliers : freinage, amortissement et ABS. Sollicités conjointement, ils conduisent à louper son freinage, foirer sa trajectoire et ne pas parvenir à contrôler pleinement ce qui arrive, à moins… de tout lâcher et de remettre les gaz en s'en remettant autant à sa bonne étoile qu'à des pneumatiques aimant se dérober en douceur. Si l'on peut. Le but du jeu ? Ne pas entrer dans la boucle infernale, et ne pas solliciter plus d'un ou deux piliers en même temps. C'est donc ça ? Plus on veut rouler vite avec la Tiger et plus il faut rouler vite pour la contraindre, accepter de ne pas toucher aux freins et utiliser à fond le moteur et son frein naturel et suffisant, bien aidé en cela par la réduction du couple faisant office d'anti dribble ? Voyons voir.
Le déclic vient dès que l'on oublie l'étrier arrière, et que l'on rentre un rapport avant la courbe pour à la fois éviter de freiner de l'avant et asseoir la moto. Mieux encore, rentrer en freinage dégressif de l'avant dans la courbe, permet de trouver de meilleurs appuis et surtout de la ressource, sans prendre la vitesse pouvant induire les fameuses ondulations en cas d'imprévu. Ça consomme un peu plus, mais on gagne en sérénité ce que l'on perd en carburant.
La différence entre très vite et trop vite, vous connaissez ? Vous allez apprendre, surtout si vous cherchez à tirer la quintessence de ce modèle. OK, c'est sport. Sirop Sport, même. Mais c'est fort, très fort. En goût, en contrôle et en improvisation. En sensations, pour commencer. Et en plaisir, ensuite, une fois que l'on est parvenu à dompter ce Tiger. Lorsque l'on n'hésite pas à se jeter dans sa gueule, qu'elle a grande ouverte, prête à dévorer la route (et un peu de bas côtés quand même, personne n'est parfait).
Avec son anti patinage activé, et quel que soit le mode moteur, la Tiger accepte de nombreux styles de conduite, imposant son rythme. Nous avons préféré, le panache, la conduite à l'ancienne et celui à la supermotard. De quoi l'accompagner ou la contraindre, la poser et prendre de l'angle. Beaucoup d'angle, pour éviter de faire travailler les suspensions dans l'axe vertical, surtout et tout en limitant l'action du contrôle de traction, qui s'allume pourtant régulièrement sur le tableau de bord si l'on a oublié de le désactiver. Par bonheur, il ne prive alors pas trop de relances, même en mode Rain. Sur notre modèle, son interventions se montrait très discrète, même si là encore très/trop prévenante, à l'image de l'ABS. Heureusement, la garde au sol est excellente et les repose pieds ne frottent que rarement. Tout juste avons-nous biseauté le sélecteur sur une petite compression en courbe vacharde. C'est dire. D'autres ouvraient la jambe et le virage, mais le déhanchement n'avait rien d'une évidence.
Peu à peu, on lève ses réserves, on suit le tracé sans sortir de sa voie. On apprend la bête, on se sent soi-même moins bête. Cette Tiger, elle ne se livre pas de suite. Elle s'apprend, elle se comprend et ensuite on se valide l'un et l'autre. Dès lors, les suspensions paraissent suffisamment fermes à l'attaque, presque dures en ville sur les petits chocs, légèrement trop souples ensuite, avant de re-rentrer dans le dur, principalement sur les impacts vifs. On regrette de ne pas pouvoir désactiver l'ABS à l'arrière, histoire de ne pas se faire surprendre et de profiter d'une constance de freinage malheureusement absente pour qui utilise régulièrement cet élément.
Les températures en nette hausse comme les routes plus larges de l'après-midi auront fini de lever les précautions prises le matin même. Un bon repas, une bonne moto dont on connaît à présent les défauts et voici que l'on s'amuse follement au guidon. Si l'on ne peut s'empêcher de penser aux jeunes permis de tous âges, qui devront faire leurs gammes avant de pleinement pouvoir exploiter leur moto, les plus expérimentés seront devant un dilemme : savoir rouler vite, mais ne pas toujours oser, ne souhaitant pas se faire peur inutilement, du moins une bonne chaleur. À moins de changer les pneumatiques pour des gommes plus sportives, de trouver un kit de fourche pour pouvoir la régler aux petits oignons, et un amortisseur assurant une pleine liaison avec le sol et moins de délestages. En bref, un billet de 1 000 € et plus pour obtenir une Tiger Sport vraiment sport. Le budget pourrait bien valoir la chandelle. Pensez aussi à une selle confort si vous voulez aller loin en une journée en exploitant les plus de 350 km d'autonomie à portée de réservoir.
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