Confiscation : quand les policiers se font verbaliser avec votre auto…
Depuis que sa voiture a été saisie et remise à un service de police, une conductrice se retrouve très régulièrement destinataire de PV. Cela fait presque quatre ans que cela dure. Et elle risque gros : en plus des frais induits (avocat, consignations, perte de la jouissance de son véhicule), c'est son permis de conduire qui est en danger… Aperçu de cette affaire pour le moins ubuesque !
Tout véhicule saisi lors d’une enquête judiciaire portant sur des faits susceptibles d’encourir leur confiscation définitive peut être affecté, « à titre gratuit », à des services de police, depuis la loi LOPPSI 2 de 2011 sur la sécurité intérieure, adoptée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Sans même d’ailleurs que la personne poursuivie ne soit forcément le titulaire de la carte grise.
Il suffit en effet que le bien soit considéré comme à sa « libre disposition ». On parle là de procédures qui ont tendance à s’étaler dans le temps. Avant que la justice ne livre son verdict, qui plus est, définitif, il y a ainsi des propriétaires qui se retrouvent privés, durant des années, de la jouissance de leur véhicule, alors qu’ils ne sont même pas personnellement poursuivis par la justice.
C’est ce qui arrive à l’une des clientes de Laureen Spira, avocate spécialisée dans le droit routier, dont le mari a été mis examen au printemps 2017, pour des infractions qui n’ont toutefois rien à voir avec le code de la Route. Il s’agit de faits d’association de malfaiteurs et de blanchiment en bande organisée, pour lesquels il n’a toujours pas été jugé.
Une pluie de PV
Et depuis ce même printemps 2017, Madame est ainsi privée de sa Mercedes, saisie dans le cadre de cette enquête. Dans un premier temps, sa Classe A a été placée sous scellé, puis, un an plus tard, au printemps 2018, elle « a fait l’objet d’une remise au service des domaines » pour, en application de l’article 99-3 du code de Procédure pénale, être affectée « à titre gratuit au service de la Direction de la Police judiciaire », la DRPJ, rattachée à la Préfecture de Police de Paris, peut-on lire dans un document officiel du dossier.
En clair, depuis bientôt quatre ans, ce sont des policiers qui s’en servent dans le cadre de leur travail. Et le problème, c'est que depuis, la dame n’arrête pas de recevoir des forfaits de post-stationnement (FPS), pour des places impayées, et des PV pour des infractions commises avec son auto, mais dont elle n’est aucunement responsable. Ce sont les agents de la DRPJ qui ont la mainmise sur le véhicule…
Il est question d’une quinzaine d’excès de vitesse, de moins de 20 à plus de 40 km/h, en et hors agglomération, de circulations sur les voies de bus, de stationnements gênants, très gênants, d’arrêts dangereux… Ces contraventions s’accompagnent ainsi souvent d’une perte de point(s).
En tout, la dame a reçu près de 40 prunes, au stade forfaitaire, minoré comme majoré. Il y en a pour plus de 4 000 euros. La dernière en date remonte à octobre : un commandement de payer de 386 euros pour une amende forfaitaire majorée (AFM) et une infraction bien mystérieuse, puisque les documents reçus ne permettent pas de l’identifier.
Alors même qu’elle n’y est pour rien, la propriétaire du véhicule saisie doit veiller à contester en bonne et due forme tous ces FPS et surtout ces PV, car, comme évoqué, il y a une trentaine de points en jeu. Sans cela, elle risque donc de se retrouver plus vite qu’il n’en faut pour le dire sans permis de conduire, en plus de devoir faire sans sa voiture.
Lenteur de la justice
« La situation est ubuesque », s’étrangle son avocate, qui rappelle que « pour contester, il faut souvent d’abord payer ! » En outre, malgré toutes ses démarches, qui lui ont tout de même permis de conserver les 12 points de cette automobiliste, Me Spira ne comptabilise qu’un seul « classement sans suite » officiel des services du ministère public. Elle a dû se déplacer trois fois au tribunal de Police pour parvenir – enfin ! – à se faire entendre… pour trois des PV !
Chose bien rare : dans l’une de ses trois affaires, elle a même réussi à obtenir pour sa cliente une indemnité de 200 euros en dédommagement. 200 euros toutefois qu’elle attend toujours de voir être versés.
Pour le reste, soit pour la très grande majorité des cas, l’avocate parisienne n’a pas de nouvelles. L’agent sorti pour les consignations est toujours dehors. Alertée pour que cesse la plaisanterie, la DRPJ lui a assuré - sans rire - avoir « sollicité l’indulgence » pour la conductrice, pourtant en rien responsable.
« A l’avenir (…), il [lui] appartient de contester l’ensemble des contraventions susceptibles de lui être adressées, en joignant l’ordonnance des Domaines ou, le courrier du magistrat en charge de l’instruction indiquant que le véhicule concerné a été affecté à la DRPJ », lui précise-t-on dans un courrier. Pour peu, la DRPJ lui dirait comment faire son travail, ce dont elle n'avait aucunement besoin !
Et aux policiers de son service, qui pourraient veiller à conduire correctement, ou à tout le moins payer comme il faut leurs stationnements, leur a-t-elle prodigué quelques conseils et recommandations ? La missive, bien évidemment, ne le dit pas…
Une sanction contraire à la Constitution ?
Pour la première fois depuis 2018, le rythme des PV paraît tout de même se ralentir. Serait-ce parce que le Conseil Constitutionnel, dans une décision récente, rendue à la suite d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), considère que la confiscation de biens prévus à titre de peine complémentaire pour escroquerie et blanchiment, et dont la personne concernée a seulement la « libre disposition », sans prévoir que le tiers propriétaire soit entendu, est contraire à la constitution ? C’est loin d’être évident.
Les Sages ont en effet reporté au 31 mars 2022 la date de l'abrogation des dispositions contestées du code Pénal – en l’occurrence, les 3ème et 9ème alinéas de l'article 131-21, le 4° de l’article 313-7 et le 8° de l’article 324-7 -, en précisant bien que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».
De fait, en tout cas, l'affaire n'est pas un cas si exceptionnel : ce qui arrive à la cliente de Me Spira arrive régulièrement quand un véhicule saisi est affecté à un service de police ou de gendarmerie qui a besoin de voitures banalisées pour ses enquêtes… Une histoire relayée par Le Parisien avait notamment fait grand bruit en 2015. Or, quatre ans plus tard, selon la chaîne LCI, la situation de la conductrice concernée n'avait guère bougé…
Infractions routières et confiscation
Le code de la Route (voir les infractions concernées ci-dessous) ne prévoit que des saisies et des confiscations de véhicules dont le conducteur est le propriétaire. S’il s’agit d’une auto laissée à sa « libre disposition », la sanction n’est donc théoriquement pas possible.
La confiscation d’un véhicule est une sanction décidée par un juge. Entre le moment où l’infraction est commise et cette décision, il peut ainsi s’écouler plusieurs mois, voire plusieurs années. Il s'agit d'une peine complémentaire, qui vient potentiellement s'ajouter à une peine principale, d'amende et/ou de prison, puisqu’il s’agit la plupart du temps de délits.
Quelles sont alors ces infractions pour lesquelles les forces de l’ordre peuvent, avec l'autorisation préalable du procureur de la République, faire procéder à l'immobilisation, puis à la mise en fourrière du véhicule, en vue d’une confiscation prononcée par un juge ? Cela peut arriver en cas d'excès de vitesse égal ou supérieur à 50 km/h, de conduite sans assurance, d'alcoolémie ou de conduite après usage de stupéfiants, ou bien encore en cas de refus de se soumettre aux contrôles de dépistage, de conduite malgré une décision de rétention et/ou de suspension administrative (c’est-à-dire décidée par le préfet, très vite après la commission de l’infraction) ou de suspension judiciaire (c’est-à-dire prononcée au tribunal par un juge), d'annulation ou d'interdiction d'obtenir la délivrance du permis de conduire, de délit de fuite, de conduite sans permis.
Et dans ce dernier cas, comme dans le cas d’une récidive pour l’une des infractions susmentionnées, la confiscation du véhicule est même réputée « obligatoire » pour le condamné « s’il en est propriétaire », dixit le code de la Route. Pour que la juridiction ne prononce pas cette peine, elle ne peut le faire que « par une décision spécialement motivée. »
Quand le juge ne la prononce pas, le conducteur poursuivi peut bien évidemment récupérer son véhicule. Mais durant tout le temps de la procédure, cela veut tout de même dire qu’il en a été privé. Même en cas de relaxe, il aura été ainsi lourdement puni.
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