« Elle est bizarre en archi ». Nous sommes en 1998, en pleine célébration du centenaire de Renault, et l’un de ses hauts pontes, le directeur du produit Renault Deconinck, laisse échapper une moue dubitative lorsqu’on lui demande son avis sur la Prius 1, tout juste lancée. La première hybride de grande série du marché n’a pas pas un physique facile, certes. Sa silhouette à coffre, maladroite et peu statutaire, vend bien mal la lente révolution technologique que Toyota promet au marché mondial. A l’époque, toute technologie nouvelle fait peur à Monsieur tout le monde: le constructeur nippon choisit donc un look passe-partout pour rassurer, quitte à sombrer dans le bizarre pas assumé. Une erreur que répareront vite les générations 2 et 3, dont le design d’ovni revendicatif fera mouche. Consommer écolo oui, mais au grand jour : la Prius devient une icône, notamment en Californie, eldorado du green business, où elle truste régulièrement la place de voiture la plus vendue, toutes carrosseries confondues. Mais pour en arriver là, il a fallu quelques efforts…
Contre toute attente, l’hybride n’est pas dans son principe, loin s’en faut, l’invention de Toyota: Ferdinand Porsche (la Lohner-Porsche Mixte Hybrid) mais aussi le petit constructeur belge Pieper furent parmi les pionniers, en 1900, de l’automobile « pétroléo-électrique ». De nombreux constructeurs, s’intéresseront également, plus ou moins officiellement à l’hybride au cours du siècle, dont Ford, Audi, Honda, GM… et même Briggs&Stratton, sommité des moteurs de tondeuse à gazon ! Mais personne n’investira autant de temps, d’argent et de ressources, pas même Honda, challenger sur le marché américain, que Toyota. Et pour cause : ses équipes de recherche et développement planchaient sur l’hybride depuis déjà longtemps… Le constructeur avait notamment présenté l’unique prototype « GT Hybrid » (GT pour Gas Turbine !) au salon de Tokyo 1977, une petite sportive à émissions réduites.
L’initiative ne trouvera finalement un appui pérenne qu’en 1992, lorsque Toyota adopte une charte d’entreprise baptisée « Earth Charter », l’une des clés de voûte de sa stratégie industrielle, qui permettra la mise en chantier du projet G21, la future Prius « XW10 », développée grâce à un brevet de chaîne de traction hybride venant de l’équipementier TRW. Un concept car bleu, lisse comme un galet, sera dévoilé au salon de Tokyo à l’automne 1995, 2 ans avant la commercialisation du modèle de série, bien moins glamour… L’intention est belle et bien là. La montée du prix du pétrole fera le reste : de 17 600 Prius écoulées en 1998, Toyota est passé à 1,22 millions d’hybrides l’année dernière, à l’échelle mondiale, cumulant, en mars 2013, 5,1 millions d’hybrides vendues, dont 10% en Europe.
Entre temps, la Prius a enfanté un peu partout… des berlines (la Camry américaine, la Crown japonaise, deux générations d’Auris européenne…), et même des citadines (l’Aqua ou Prius C, dernièrement la Yaris). Elle a aussi permis de donner une légitimité supplémentaire à Lexus, la jeune filiale haut de gamme de Toyota, dont le développement aurait sans doute été bien différent sans elle. L’hybride a permis à Lexus de palier l’absence quasi-généralisée (sauf sur l’IS) d’un moteur diesel, essentiel en Europe. Mais cette technologie lui a aussi permis, quelque part, de s’acheter une âme, des racines… indispensables au marketing de toute marque « premium » qui se respecte.
Et les Français dans tout ça ? Ils adhèrent. Ludovic Billiet, chef du département produit et prix de Toyota France, explique : « Nous constatons que les clients d’un modèle hybride ne l’achètent pas uniquement pour des raisons économiques. Parmi les raisons d’achats, certaines sont rationnelles, comme la faible consommation de carburant, l’entretien réduit… Mais une grande partie de la motivation est liée à l’expérience de conduite, à l’absence totale de vibrations, au silence, au fait que l’hybride incite à adopter une conduite relaxée, apaisée. C’est vraiment cela que les clients mettent le plus en avant. En ce sens-là, l’essai est vraiment décisif dans le processus d’achat. » A fin avril, près de 9000 hybrides ont été écoulées, la Yaris ayant pris la tête, avec environ 3500 immatriculations, presque autant que d’Auris hybrides. La petite japonaise assemblée à Valenciennes est un carton commercial, au-delà des attentes : les délais de livraison ont même atteint 6 mois à la fin de l’année dernière, mais Toyota assure qu’ils sont revenus à la normale : il faut désormais compter deux mois. « Nous réalisons 60 % de conquête avec l’hybride, et la majeure partie vient du diesel, compte tenu de la structure du marché français. Nos clients viennent essentiellement des marques françaises et des généralistes. S'agissant de l'Auris Hybride les clients hésitent parfois avec des modèles « premium », de type BMW ou Audi. » reprend Ludovic Billiet. Attention, toutefois, à la dépendance aux aides gouvernementales : sans bonus de 2000 € (voire 5000 pour une Prius rechargeable !), nul doute que le mouvement s’essoufflerait…
L’avenir ? En 2013, Toyota estime que 35 % de ses ventes seront constituées par les hybrides, pareil en 2014. Certes, la Prius rechargeable, lancée à l’automne 2012, s’écoule modestement : seuls 200 exemplaires ont trouvé preneur depuis le début d’année. Prix élevé (32000 € bonus déduit) et faiblesse du réseau de recharge sont ses deux handicaps majeurs. Mais Toyota voit déjà plus loin puisqu’une familiale à pile à combustible de grande série verra le jour en 2015, parmi les 18 nouveautés promises à l’échelle mondiale. L’avènement d’un Rav4 hybride reste dans le flou, mais il semble acquis que les remplacements des Verso, Avensis et iQ en bénéficieront. En 2020, plus aucune Toyota ne sera privée d’une exécution hybride, quel que soit le niveau de gamme... Un implacable rouleau compresseur qui devra toutefois cohabiter avec le diesel, qui gardera un intérêt en haut de gamme, mais aussi avec d’autres technologies prometteuses sur les segments bas et moyen du marché, tel l’hybride-air de PSA.
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