Qu'apprend-t-on vraiment en Ferrari SF90 dans les pires conditions possibles ?
Se retrouver au volant de la Ferrari SF90 Stradale de 1000 chevaux avec des pneus semi-slick sur le circuit de Varano et sous une pluie battante, c'est un peu comme dîner dans un trois-étoiles Michelin avec une rage de dents.
La mission des journalistes de Caradisiac consiste essentiellement à donner un avis sincère aux lecteurs sur les nouveautés du marché, parler des voitures de monsieur tout le monde et essayer de comprendre ce qu’il se passe chaque jour dans le monde en constante évolution de l’automobile. Ce qui n’empêche évidemment pas les membres de la rédaction d’éprouver égoïstement et plus ou moins secrètement de la passion pour les machines les plus exclusives de cet univers, celles qui existent dans les rêves de certains petits enfants et que le commun des mortels ne peut hélas pas s’offrir. Sur le papier, par exemple, l’idée de prendre le volant de la récente Ferrari SF90 Stradale sur le circuit de Varano pour trois séries de tours fait partie de ces moments spéciaux dans l’agenda d’un professionnel de l’automobile. Avec des Michelin Pilot Sport Cup 2 aux quatre coins et quelques outils télémétriques pour étudier les données entre chaque série de tour, il y avait même de quoi espérer expérimenter assez précisément les capacités de la plus puissante et performante des Ferrari (même si on ne parle pas ici de la SF90 XX encore plus affûtée).
Compte tenu des performances de ces voitures, il faut absolument pouvoir compter sur des conditions météorologiques adaptées pour espérer retirer le maximum d’informations intéressantes sur des autos dont les capacités maximales ne peuvent s’atteindre que sur du bitume bien sec ou pas trop gorgé d’eau. Quand nous débutions notre journée d’essai au Circuit Paul Ricard sous un ciel menaçant avec des prévisions catastrophiques pour les heures suivantes il y a quelques années en Bugatti Chiron Sport, par exemple, le pilote officiel du constructeur nous prévenait : « à cause de la largeur des pneus en cas de forte pluie, on ne pourra rien faire de plus que de rouler à 130 km/h », soupirait alors Pierre-Henri Raphanel en voyant quelques gouttes tomber. Heureusement, ce jour-là les cieux étaient restés cléments en nous laissant atteindre 356 km/h dans la grande ligne droite du Mistral et vivre des moments mémorables à raconter par la suite.
Hélas, le miracle ne s'est pas reproduit à Varano cette fois. La veille au soir, il restait un tout petit espoir d’échapper au déluge le matin et de pouvoir essayer correctement la voiture. Mais j’ai déjà de l’eau qui ruisselle le long du visage et les chaussettes mouillées dans les chaussures qui font « pouic » en marchant dans les grosses flaques de la pitlane du circuit vers la SF90 Stradale Pack Assetto Fiorano, avec laquelle il est prévu de s’élancer pour trois séries de cinq tours. Il pleut comme au Grand Prix de Formule 1 de Belgique 2021 et il n’y a aucun espoir d’amélioration avant le lendemain. Pas possible d’attendre, il faut donc réveiller le V8 bi-turbo de 4,0 litres, développant quelque 780 chevaux et assisté de trois moteurs électriques (deux sur le train avant, le troisième entre le V8 et la boîte de vitesses) pour arriver à une puissance maximale totale de 1000 chevaux. Totalement silencieuse en mode e-Drive où elle ne sollicite que ses moteurs électriques avant (sur une distance maximale de 25 kilomètres), la voiture roule ici en mode Performance mais avec les aides électroniques laissées en position Wet pour d’évidentes raisons d’absence de courage.
C’est le début d’une lente chevauchée craintive et timide au volant de la voiture de série la plus performante de la gamme Ferrari et sur un circuit à découvrir entièrement, aux côtés d’un pilote instructeur italien lui aussi déprimé par les conditions. Il pleut tellement que la piste comporte plusieurs zones d’aquaplaning à contourner entièrement sous peine de transformer la voiture en bateau Riva. Les Michelin Pilot Sport Cup 2, des pneus semi-slicks idéaux sur circuit sec mais minimalistes sous la pluie, n’aident en rien à se mettre en confiance (ni les gommes en température).
Ne vous y trompez pas : la SF90 Stradale fait bien partie de ces supercars surdouées de la race moderne, capables de vous transporter en toute sécurité sous le déluge comme de vraies GT à condition de la laisser dans ses cartographies tournées vers le confort et de rester à allure routière légale. Mais essayer d’en extraire le plein potentiel dans ce cadre précis, c’est comme faire de l’escalade avec les doigts qui glissent. Le facteur le plus limitant reste la monte pneumatique : avec des gommes moins radicales, il serait sans doute possible d’augmenter le rythme un minimum. Quelques minutes plus tôt, d’ailleurs, je me régalais sur les routes trempées des environs au volant d’une Ferrari Portofino chaussée de Michelin au profil plus polyvalent. Mais sur la piste bourrée d’eau avec les Cup 2, chaque gros freinage donne l’impression de rouler sur de la glace. Il n’y a rien d’autre à faire que de patienter en sous-vitesse totale dans les virages serrés sous peine de partir au large et dans la ligne droite principale, le train arrière patine en cinquième même sans écraser l’accélérateur en grand (gloups). Impossible de chauffer les gommes un minimum pour les mettre dans leur bonne fenêtre d’utilisation et gagner en grip, les tours s’enchaînent à une allure sénatoriale et l’impression de passer à côté d’un moment de découverte extraordinaire grandit.
Comment vous donner une idée de ce que l’on ressent au volant d’une Ferrari SF90 Stradale dans l’orage à Varano ? Imaginez un diner dans un restaurant trois-étoiles Michelin avec une rage de dent terrible ou un épisode brutal de diarrhée aigüe en plein concert des Pink Floyd au moment le plus magique de « The Great Gig in the sky ». Je n’ai vécu aucune de ces deux situations mais c’est à peu près le niveau de frustration et d’inconfort que je retire de cette expérience pour laquelle je ne peux rien vous raconter d’intéressant à propos d’une des voitures de sport les plus sophistiquées du monde. Peut-être qu'on aurait quand même dû vous sortir le classique et facile « Olala ca pousse, on est collé au siège » qu'on entend dans 95% des essais actuels quelles que soient la puissance et les performances des sportives concernées ? Et la pluie s’est bien évidemment arrêtée au moment exact de notre départ du circuit pour laisser la place à un magnifique ciel bleu. Comme par hasard !
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