Le jackpot des radars : 2016, une année record !
Stéphanie Fontaine , mis à jour
Avec 920,3 millions d'euros engrangés en 2016, jamais les radars n'avaient autant rapporté à l'État. Ils représentent ainsi pour la première fois la plus grosse part des amendes routières, dont les recettes se sont élevées à plus d'1,8 milliard d'euros l'an dernier, révèle un rapport de la Cour des Comptes, que Caradisiac a scruté. Voici l'essentiel à retenir.
Pour la première fois, ce sont les PV issus des radars automatiques (radars vitesse, feux rouges, passages à niveau) qui rapportent le plus à l'État parmi toutes les amendes dressées l'an dernier. Le pactole récolté en 2016, grâce au seul contrôle automatisé, a bondi à 920,3 millions d'euros (+16,64 %), révèle la Cour des Comptes dans son rapport annuel sur le budget de l'État. Et, au total, les amendes routières ont ainsi généré plus de 1,8 milliard d'euros de recettes, comme évoqué par Le Parisien samedi.
L'évolution des amendes routières depuis 2004
Recettes en M€ | 2004 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | Évolution 2016/2015 | 2017** | |
Recettes totales | 919,4 | 1 479,30 | 1 515,60 | 1 623,90 | 1 597,50 | 1 562,80 | 1 607,70 | 1 817,9 | 210,2 | 13,07 % | 1 848,40 |
Radars automatiques | 582,1 | 641,8 | 730,7 | 708,3 | 740,1 | 789 | 920,3 | 131,3 | 16,64 % | 991 | |
- Amendes forfaitaires | 468,4 | 539 | 619,9 | 579,3 | 611,7 | 642,2 | 760,5 | 118,3 | 18,42 % | 844 | |
- Amendes forfaitaires majorées* | 113,7 | 102,8 | 110,8 | 129 | 128,4 | 146,8 | 159,8 | 13 | 8,86 % | 147 | |
Hors radars automatiques | 897,2 | 873,8 | 893,2 | 889,2 | 822,7 | 818,7 | 897,6 | 78,9 | 9,64 % | 857,4 | |
- Amendes forfaitaires | 526 | 523,3 | 588,6 | 568,3 | 527,8 | 534,9 | 597,5 | 62,6 | 11,70 % | 574 | |
- Amendes forfaitaires majorées* | 371,2 | 350,5 | 304,6 | 320,9 | 294,9 | 283,8 | 300,1 | 16,3 | 5,74 % | 283,40 |
Source : selon les données de la direction du Budget
* amendes payées hors délais ** selon les prévisions en loi de Finances
Que les amendes routières aient tendance à rapporter toujours plus gros à l'État, en particulier les amendes-radars, cela n'est pas vraiment nouveau. À part en 2013 où les automates ont paru légèrement grippés en raison de la chute brutale de leur disponibilité à la suite d'un changement de prestataire pour effectuer leur maintenance, en plus des assauts répétés des bonnets rouges, qui pour protester contre l'Écotaxe avaient détruit cette même année 220 d'entre eux, leur dynamisme n'a guère faibli depuis leur apparition en 2003. Le système automatisé se porte d'ailleurs tellement bien que, comme évoqué plus haut, la manne qu'il génère dépasse désormais allègrement celle générée par les amendes de stationnement, et ce, même en y ajoutant tout le reste des contraventions dressées en dehors de ce système des radars automatiques (cf. notre tableau ci-dessus).
Les 5 informations à déduire et/ou à retenir de ce nouveau rapport de la Cour des Comptes :
1 – "Plus de la moitié des recettes (…) ne financent pas directement la politique de sécurité routière", ce qui est tout à fait contraire à la loi.
Ce n'est pas nouveau, mais c'est encore plus criant que les années précédentes…
Théoriquement, ces recettes particulières doivent être en effet, "par nature, en relation directe avec les dépenses concernées". Or, une part de plus en plus importante des amendes sert des "programmes dont les dépenses ne sont pas ou peu évaluées (…), pas traçables (…) ou qui n’ont rien à voir avec la sécurité routière", note la Cour des Comptes. En ligne de mire, il y a alors :
- Les 485,6 millions d'euros reversés au budget de l’État, soit environ un tiers des recettes des amendes, en vue principalement de son désendettement,
- Les 351,5 millions d'euros versés à l'agence de financement des infrastructures de transport de France (l'Afitf), laquelle représente pour la Cour des Comptes "un opérateur 'sans feuille de route ni marge de manœuvre' et [qui] constitue 'un instrument de débudgétisation massive' permettant de 'contourner les règles de droit budgétaire'. En 2017, il est même prévu que la ponction soit encore plus douloureuse puisqu'elle devrait s'élever à 425 millions d'euros, ce qui correspond à 23 % du produit des amendes.
- Et à cela s'ajoutent même les 692,7 millions d'euros réservés aux collectivités territoriales, et officiellement utilisés pour financer des opérations en matière de transports en commun, de sécurité et de circulation routière. Seulement voilà, il n'existe aucun document budgétaire, aucune traçabilité de l'utilisation réelle de ces fonds. En clair, on ne sait pas ce que les collectivités font réellement avec tout cet argent.
C'est "contestable tant au regard du droit que de la performance du dispositif dont la finalité est la baisse de la mortalité et de l’accidentalité routières", insiste la Cour.
2 – Ce n'est pas parce que les radars ont enregistré davantage d'infractions en 2016 que, nécessairement, les usagers se sont plus mal conduits !
Le ministère de l'Intérieur refuse catégoriquement depuis plusieurs mois de communiquer les statistiques des radars - chiffres pourtant communicables à toute personne qui en fait la demande. Du coup, impossible pour nous d'analyser en profondeur ces statistiques pour 2016. Mais il n'en demeure pas moins une constante depuis l'installation des automates en 2003 : le nombre d'infractions relevées par jour et par appareil a inexorablement tendance à décliner d'année en année.
S'il y a toujours au global, plus d'infractions enregistrées, et surtout plus de PV, c'est parce que :
1. Le parc de radars, à part en 2014 et 2015, n'a jamais cessé de grossir. D'ailleurs fin 2016, il comprenait 4 398 unités contre quelque 4 200 fin 2015. Il était même prévu qu'il y en ait plus encore, de l'ordre de 4 450. Du coup forcément, en données brutes, ça augmente !
2. Le nombre de messages d'infraction transformés en véritables avis de contravention ne cesse lui aussi de s'améliorer d'année en année. En clair, le système devient de plus en plus efficace. Chaque année, il y a un peu moins de déchets et de photos qui partent à la poubelle.
3 – 22,35 millions de flashs et environ 15 millions de PV, c'est sans doute ce qu'ont dû générer les radars automatiques l'an dernier.
Apparemment, la Cour des Comptes, elle, a bien eu accès aux statistiques radars. Dans son rapport, la Cour justifie alors la progression des recettes en 2016 comme étant "la conséquence de la forte augmentation du nombre d’infractions constatées, qui progressent de 10,4 % en 2016". En partant des chiffres que Beauvau avait accepté de nous transmettre avec peine pour 2015, cela nous permet ainsi d'estimer le nombre de flashs à 22,35 millions l'an dernier.
Maintenant, cette progression, certes soutenue, n'explique qu'en partie le regain du chiffre d'affaires. Celui-ci est forcément et surtout dû aussi à la meilleure transformation des photos prises par les radars – leurs flashs - en de véritables PV, comme évoqué plus haut. Et en pourcentage, on peut imaginer que le nombre de contraventions réellement dressées par le système automatisé a dû grimper à peu près autant que les recettes, et ainsi tourner autour de 15 millions de PV en 2016.
4 - En 2016, l'État a récupéré beaucoup plus d'argent que prévu !
Fait exceptionnel, l'État a sous-estimé les recettes ! Initialement, il tablait sur 1,68 milliard d'euros d'amendes routières (toutes confondues), soit plus que l'année passée, comme toujours, mais là, il a gagné encore plus que prévu, alors qu'habituellement, il a plutôt tendance à les surestimer. En l'occurrence, il a donc encaissé un total de 1,818 milliard d'euros, soit quelque 137 millions d'euros de plus que les prévisions, et c'est en grosse partie grâce au dynamisme des radars (cf. notre tableau ci-dessous).
Les recettes des radars en prévision et exécution
Recettes | 2015 | 2016 | 2017* | ||||||
En million d'€ | Ce qui était attendu | Ce qui a été obtenu | différence en million d'€ et % | Ce qui était attendu | Ce qui a été obtenu | différence en million d'€ et % | Ce qui est attendu | ||
Recettes des amendes routières | 1 671,20 | 1 607,70 | -63,50 | -3,80 % | 1 680,8 | 1 817,90 | 137,10 | 8,16 % | 1 848,40 |
Amendes forfaitaires des radars | 658,10 | 642,00 | -16,10 | -2,45 % | 672,30 | 760,50 | 88,20 | 13,12 % | 844,00 |
Amendes forfaitaires majorées des radars | 125,00 | 147,00 | 22,00 | 17,60 % | 135,00 | 159,80 | 24,80 | 18,37 % | 147,00 |
Total radars | 783,10 | 789,00 | 5,90 | 0,75 % | 807,30 | 920,30 | 113,00 | 14,00 % | 991,00 |
Tout le reste des amendes | 888,10 | 818,70 | -69,40 | -7,81 % | 873,50 | 897,60 | 24,10 | 2,76 % | 857,40 |
Source : selon les données de la direction du Budget
* selon les prévisions en loi de Finances
5 – Pour expliquer la hausse des infractions constatées en 2016, la Cour des comptes avance plusieurs pistes, dont certaines ne semblent pourtant pas justifiées…
En plus de la meilleure efficacité du système automatisé, et notamment d'un meilleur taux de transformation des flashs des radars en PV, la Cour, pour expliquer cette hausse des recettes, met en avant également :
- le meilleur rendement de certains appareils. Selon elle, les radars feux rouges et les radars chantiers "engendrent a priori plus de recettes" ;
- "la progression du taux de paiement spontané des contraventions par les contrevenants étrangers", évaluée pour l'ensemble des pays européens partenaires à "70,6 % pour la période allant d’octobre 2014 à janvier 2016 (en premier lieu l’Allemagne et les Pays-Bas) contre 79 % pour les contrevenants français".
La Cour rappelle que depuis le déploiement des radars vitesse en 2003, "environ 21 % des infractions relevées concernent des véhicules immatriculés à l’étranger alors qu’ils ne représentent (en moyenne) que 5 à 6 % du trafic". Pour lutter contre de tels comportements, et afin de faciliter les poursuites, une directive européenne permet désormais l'échange de données des conducteurs entre pays européens. Après la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse, l'Allemagne, l'Espagne, la Roumanie et la Pologne, la France échange ainsi des données avec l'Autriche depuis 2016 ;
- la dégradation des comportements des conducteurs et une vitesse moyenne repartie à la hausse… "La tendance à l’augmentation moyenne de la vitesse se confirme (…) en 2016", dixit ainsi la Cour. Pourtant, rien ne permet pour l'instant de le confirmer !
De fait, à y regarder de plus près, la mortalité routière a certes cessé de baisser, et elle est donc même repartie à la hausse depuis 2013, mais sans être pire que le bilan de 2012. Du coup, lorsque l'on prend du recul, on comprend qu'il s'agit surtout pour le moment d'un palier atteint : la courbe de la mortalité routière en France a surtout tendance... à stagner.
Comme le rappelle la Cour des Comptes, théoriquement, les recettes des amendes routières en particulier celles des radars ont vocation à diminuer. Si c'était le cas, cela signifierait en effet que la politique en matière de Sécurité routière est un succès. "Positive pour le budget de l’État", l'augmentation de ces recettes "doit (...) être analysée de manière nuancée au regard de l’objectif gouvernemental de diminution de la vitesse sur les routes, première cause d’accidents mortels," met en garde le rapport.
Reste qu'il paraît évident, pour les observateurs attentifs, que tout est fait pour maintenir ces recettes, et même de les faire croître. Les appareils mis en service sont de plus en plus modernes, sophistiqués, le système de plus en plus efficace, et bientôt, la conduite des radars mobiles sera même privatisée ! De là à en conclure que les radars ne servent à rien… pour preuve, le nombre de morts sur les routes est reparti à la hausse depuis 2013, comme on l'a entendu dire par-ci par-là ces derniers jours, ça paraît tout de même une affirmation plus qu'osée !
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