2. La course en Lamera Cup, des larmes de souffrance et de joie

Autant j’avais réussi à surnager un peu il y a quelques années au volant d’une modeste Peugeot 208 Racing Cup de 140 chevaux pendant les 24 Heures de Magny-Cours, autant je me suis tout de suite noyé aux commandes de cette Lamera Cup sur le grand Circuit Paul Ricard. Au milieu d’une grosse trentaine de voitures pilotées par des profils qui vont du néophyte souvent éclairé à celui de véritable jeune surdoué passé à côté de sa carrière de pilote d’usine en GT (mais aussi de vrais génies du sport automobiles parfois invités sur des manches comme Sébastien Loeb l’année dernière), je me sens comme Simba au milieu d’un troupeau de gnous au galop comme dans la scène du Roi Lion avant la terrible trahison de Muphasa par Scar.
Passé l’épreuve de l’installation dans cette machine, son ergonomie intérieure parfaitement pensée permettait pourtant de se sentir immédiatement en confiance. La position de conduite me semble parfaite, la visibilité périphérique paraît très correcte (malgré une caméra vers l’arrière moyennement lisible depuis le poste de pilotage) et une fois sorti de la voie des stands (sans caler, ouf), la prise en main de la Lamera Cup relève vraiment du jeu d’enfant. Sauf que vous n’êtes pas seul sur la piste et que, dès les premiers mètres après la pit-lane, des vagues entières de voitures jaillissent à une vitesse hallucinante de tous les côtés !
Le lent et impitoyable chemin de la progression
J’avais déjà eu exactement la même sensation au début de mon week-end de Peugeot 208 Racing Cup au milieu d’une meute de spécialistes aguerris et souvent très expérimentés de ces compétitions : au début, ça fait peur mais heureusement, on progresse vite. Sauf qu’entre une modeste traction de 140 chevaux et une berlinette propulsion à moteur central arrière de 330 chevaux légère comme une plume et équipée d’une boîte séquentielle de course, les performances ne se situent pas du tout au même niveau et nécessitent des compétences bien plus poussées pour commencer à se rapprocher des limites de la voiture et du rythme des meilleurs pilotes.

Je connais par cœur le grand Circuit Paul Ricard de 5,8 kilomètres mais là, il faut réussir à passer le virage du Mistral (avant la ligne droite principale) à fond alors que je me sens obligé de freiner avant. Et la courbe de Signe en soulageant à peine alors que j’y freine presque comme avant une épingle ! En lisant mes chronos au terme de ma toute première séance de roulage, mouillé comme en sortant d’une piscine et déjà fatigué après quelques tours, j’ai honte : je navigue à 2 minutes 34 secondes alors que les as de la discipline (roulant en Lamera Cup depuis des saisons entières) sont en 2 minutes et 20 secondes. Dans le monde de la compétition automobile, je nage en plein ridicule.

J’ai l’habitude de brutaliser des sportives de route pour étudier leur comportement et leurs réactions dans toutes les conditions possibles mais ici, seules la finesse de pilotage et l’absolue maîtrise comptent. Je passe relativement difficilement sous les 2 minutes 30 lors de ma seconde séance d’essai, me laissant encore à 10 secondes des meilleurs temps en ayant l’impression de ne même pas pouvoir progresser ! Je sous-vire, je rate le dosage de mes freinages, je perds un temps fou dans les phases transitoires et dans les courbes rapides, je lâche des secondes entières en totale sous-vitesse.
Cette Lamera Cup possède pourtant tout pour se mettre en confiance rapidement. Les pneus de route rendent ses décrochages progressifs et, malgré une poupe très vive quand on se montre trop brusque à l’inscription ou au freinage, la voiture se rattrape en fait facilement en cas de grosse erreur de pilotage (même si j’ai quand même réussi à faire un tête à queue pendant les essais en devant freiner en courbe pour éviter une autre voiture en perdition). Même sans ABS ni pneus slick, on peut freiner quand même très fort sans bloquer les roues et la voiture affiche aussi une motricité solide sans la moindre aide à la conduite (ni antipatinage, ni ESP).

Mais je sens que je n’arrive tout simplement pas à me mettre au niveau, avec l’envie subite de démissionner définitivement du journalisme automobile pour devenir naturopathe, coach en développement personnel ou créateur à plein temps de longs messages stupides et mensongers sur les réseaux comme LinkedIn. Et même si je ne suis pas allé jusque-là moi-même, je ne moquerai plus jamais des Youtubeurs qui se mettent à pleurer nerveusement dans ce genre de circonstances. Non seulement je me sens physiquement rincé après une session de 45 minutes avec certains muscles du dos carrément douloureux tellement j’étais crispé au volant, mais j’ai aussi le moral dans les chaussettes (trempées) après avoir constaté mon impuissance à rouler vite dans ces conditions. D’ailleurs, je prenais le plus clair de mon temps à regarder mes rétros pour laisser passer tout le monde en perdant d’énormes poignées de secondes à chaque fois. Et pour ne rien arranger j’ai fini en panne sur la piste avec un accélérateur bloqué, contraint d’attendre derrière le rail que les commissaires ne tractent ma voiture jusqu’à la voie des stands après la fin de la session.

Lors de la session suivante le lendemain lors de la première course au terme d’une grosse séance d’introspection, j’arrive quand même à me reconcentrer et à me calmer. De retour au volant de cette Lamera Cup numéro 52, je pousse un petit cri de soulagement en voyant régulièrement des chronos en 2 minutes et 28 secondes affichés au volant. Il me reste encore cinq secondes à trouver (les trois dernières nécessitent beaucoup plus de roulage et de talent mais aussi de jouer plus finement avec les réglages de la voiture), mais je commence à mieux comprendre la voiture et j’arrive à la laisser vivre. A la faveur d’un tour parfaitement clair, je parviens encore à progresser sur les temps intermédiaires jusqu’à devoir éviter une voiture partie en tête-à-queue devant moi et perdre au moins deux secondes. Saperlipopette, le volant m’affiche un 2 minutes 28 secondes et 5 centièmes ce qui m’aurait peut-être donné un 2’26’’ déjà meilleur pour l’égo sans cette voiture à l'envers sur la piste !
Et à la fin, un podium surprise
Je reprends le volant le dimanche lors du départ lancé de l’après-midi de la seconde partie de la deuxième course du week-end (neutralisée entre midi et deux pour des raisons liées au bruit vis-à-vis du voisinage). Nous nous retrouvons à la troisième place de notre catégorie « Gentlemen » réservée aux pilotes sans grosse expérience et je me situe dans un peloton groupé alors qu’il se met à tomber quelques gouttes sur le circuit. Ideal pour se mettre en confiance sachant qu’à la moindre erreur, je risque de faire perdre le podium à tout mon équipage ! Ce départ restera de toute façon comme l’expérience la plus effrayante de toute ma vie sur circuit, à trois de front par rangées en imaginant ce qu’il se passerait si le moindre problème survenait devant.
Mais au milieu des têtes à queue et des accrochages plus ou moins sérieux, notre Lamera Cup numéro 52 n’affiche toujours pas le moindre stigmate de contact sur sa carrosserie. On était repassé quatrième mais devant nous, le troisième de la catégorie Gentlemen vient de se crasher. Je vais sagement enchaîner des 2’28’’ sur mon dernier relai avec un tour d’avance sur le quatrième, en évitant de prendre le moindre risque. Ah, j’aurais tellement voulu progresser encore et réussir à passer le virage du Mistral complètement à fond et Signes à une vitesse plus conforme à mes ambitions ! Mais j’ai trop peur de devoir sortir large en me ratant et de percuter les gros sabots métalliques positionnés là pour dissuader les pilotes de tricher en dépassant les limites de la piste. Il paraît que ça peut casser la voiture.

Nous garderons cette troisième place de la catégorie Gentleman jusqu’à la fin de la course, nous envoyant ainsi sur un podium inespéré tout en demeurant très loin des meilleures pilotes de la discipline (et même si l’un de mes coéquipiers, un peu plus expérimenté et talentueux, parvenait à tourner jusqu’à trois secondes plus vite). Patrick Garcia, ancien journaliste de Caradisiac connu pour son solide coup de volant engagé sur une autre voiture sur la même compétition ce week-end-là, est parvenu à abaisser ses chronos jusqu’à 2 minutes, 23 secondes et 7 dixièmes. Il m’a mis plus de 4 secondes dans la vue alors que j’arrivais à rester 6 dixièmes plus lent que lui « seulement » en 208 Racing Cup à Magny-Cours.
Mais qu’importent les blessures au moral et à l’égo et la fatigue physique, l’expérimentation du sport automobile à ce niveau de sérieux et de performances procure un plaisir absolument inimaginable. J’espère que j’aurai vite le temps de m’améliorer et en toute franchise, j’en rêve la nuit.

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