Kim Jong-Un et Poutine comme deux « larrons en foire » dans une Aurus Senat à Pyongyang
En juin dernier, à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord, Kim Jong-Un accueillait son nouvel ami Vladimir Poutine à l’occasion d’un sommet bilatéral. L’occasion pour les deux dirigeants de s’accorder du bon temps, et notamment un covoiturage joyeux à bord d’une Aurus Senat.
« 즐거운 시간 보내세요 » signifie « passer du bon temps » en coréen. A ceci près qu’au nord du 38e parallèle, cette expression ne fait pas partie du vocabulaire usuel, d’autant moins qu’il est désormais interdit aux habitants de parler ou d’écrire dans cette langue. Depuis 2023, le régime de Kim Jong-Un n’autorise en effet que le dialecte de « Pyongyang » et qualifie le coréen traditionnel parlé à Séoul de « langue des pantins ».
En matière de pantin, Kim Jong-Un en connaît pourtant un rayon. Chaque année en effet, le président de la Corée du Nord soumet son peuple davantage, le privant progressivement du peu de libertés qui lui reste et faisant de lui sa poupée de chiffon XXL… Il n’y a qu’à voir ces habitants mimant la liesse, s’activant d’un seul corps à chaque sortie publique de leur « guide suprême », telle une gigantesque marionnette commandée à distance.
Tapis rouge et Mercedes Maybach pour Poutine
C’est précisément dans ce décor suranné et cette atmosphère faussement enchanteresse, où pleuvent les emprisonnements arbitraires et les condamnations à mort, dans ce pays de plus en plus assujetti à son dictateur et à ses caprices, qu’un autre chantre de la liberté est venu faire un break.
Nous sommes le 19 juin 2024. Kim Jong-Un reçoit un invité de marque, son cher ami Vladimir Poutine. Au moment où ce dernier quitte son avion privé Ilyushin Il-96-300PU pour rejoindre le tarmac de l’aéroport de Pyongyang, Kim Jong-Un vient tout juste de sortir de sa Mercedes Maybach S600 blindée pour aller tout sourire à sa rencontre.
Cette Maybach S600 Pullman Guard utilisée par le dirigeant nord-coréen est considérée comme l’une des voitures les plus sécurisées au monde. Elle aurait été imaginée pour résister aux jets de grenades et aux tirs de roquettes…
Toujours est-il que c’est à bord de ce véhicule hors-norme de 6,50 mètres de long, postés debout à travers le toit ouvrant et pour le coup singulièrement vulnérables, que ce duo d’autocrates va parader un peu plus tard dans la matinée, défilant épaule contre épaule jusqu’à la place Kim II Sung.
C’est là, sur cette immense artère aux accents soviétiques, que Poutine assiste à une cérémonie de bienvenue. Après l’avoir convié à recevoir les honneurs militaires, son hôte l’invite à écouter une chorale d’enfants sages puis à lever les yeux au ciel pour contempler un lâcher de ballon sous les vivats d’une foule passablement shootée à l’hélium.
Un roman d'amitié au volant de l’Aurus Senat
Quelques heures après, on retrouve nos compères devant une autre limousine. Il s’agit là d’une Aurus Senat offerte par Vladimir Poutine en septembre 2023, lorsque son voisin de frontière était venu le rejoindre pour un premier sommet bilatéral à Vladivostok, à la pointe sud-Est de la Russie.
Neuf mois après, les mêmes protagonistes poursuivent cette belle histoire... Avant d’embarquer dans cette limousine noire brillant au charme ronflant, le Russe et le Nord-Coréen multiplient les gestes de respect, se jetant des coups d’œil presque tendres d’une portière à l’autre. A s’y méprendre, on croirait qu’ils jouent à chifoumi pour savoir qui montera à bord en premier, à coup de « Je t’en prie Kim, après toi […] Non, non, toi d’abord Vlad, vas-y ! » Bref, il ne manque plus que Glenn Medeiros pour pousser la chansonnette...
Finalement, c’est Poutine qui conduira en « prems ». Il convie Kim Jong-Un à s’installer bien calé sur le siège passager avant. Habitué à « trimballer» ses homologues pour les impressionner, « le maître du Kremlin» agrippe solidement le volant. Une assurance qui est à deux doigts de décoiffer son jeune admirateur, dont la subtile coupe de cheveux est depuis mars dernier la seule norme capillaire autorisée pour l’ensemble de la gent masculine nord-coréenne. Ouf ! La mèche supérieure du « guide suprême » a tenu bon tout le trajet aller, l’honneur est sauf…
Poutine et Kim Jong-Un, les deux font la paire
Dans l’habitacle de ce salon roulant de 6,60 mètres de long et de 2 mètres de large, l’ambiance a tout l’air d’être à la « poilade »… Bien qu’on les imagine mal s’ambiancer sur les paroles du groupe punk-rock féministe russe des Pussy Riot, les compagnons de route paraissent s’entendre en tout cas comme larrons en foire.
Ils échangent quelques bons mots dans une langue indéterminée de frères d'armes, jouant aux ravis de la crèche pour les caméras de leurs partis uniques, au point d’apparaître presque sympathiques pour qui aurait passé les vingt-cinq dernières années sur un îlot perdu de l'Antarctique.
Non vraiment, il a l’air trop sympa ce covoiturage « père-fils » à bord de l’Aurus Senat. Cette voiture, à dire vrai, Poutine en est fier et peut en parler pendant des heures. C’est sans doute là la raison de leurs moues rieuses, au fil des lignes droites et des courbes de cet asphalte désert, dans le parc d’une des résidences d’été de Kim Jong-Un.
La Senat Limousine dispose d’un V8 4.4 litres biturbo de 600 chevaux, conjugué avec un système d'hybridation et développé avec l’assistance de Porsche. Elle pèse par ailleurs son poids (près de 3 tonnes) et son pesant d’or… Il faut aligner au moins 25 millions de roubles sur la table, soit 250 000 euros environ, pour pouvoir prétendre à l’achat de cette voiture.
L’Aurus Senat, avec sa calandre proéminente quadrillée d’une vingtaine de lames verticales, a été cousue main pour séduire une poignée d’apparatchiks et de riches propriétaires étrangers. Elle est fabriquée depuis 2018 (ses débuts sur le marché automobile) dans une usine de Ielabuga, dans le district de la Volga, à 1000 km à l’Est de Moscou.
En Corée du Nord, pas d’embargo, mais des cargos…
Voilà en somme un gros jouet de plus pour Kim-Jong-Un à l'aube de ses 42 ans. Ce cadeau qu’il a la joie de piloter comme un grand lui rappelle forcément son enfance, entouré de domestiques et de « joujoux par milliers », avec la tyrannie du petit prince qui attendait juste son heure pour monter sur le trône et dicter sa loi.
Notez que Kim Jong-Un et Poutine, avec la livraison de cette Aurus Senat, s’assoient définitivement sur une résolution des Nations Unies datée de 2007. Co-signée d’ailleurs par la Russie, pays toujours membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, celle-ci interdit toute transaction et transfert de biens de luxe, dont l’export de véhicules, à destination de la Corée du Nord. Objectif : faire pression tant bien que mal sur le développement par le régime de Pyongyang de son programme d’armement nucléaire.
Cet embargo, à vrai dire, cela fait bien longtemps que le leader Nord-Coréen n’en a que faire. Cela fait maintenant des années qu’il fait venir par cargos, clandestinement et manifestement sans que l’on ait pu identifier à ce jour les fournisseurs (ndlr : le groupe Daimler, entre autres, a toujours fermement démenti en être à l’origine), des voitures haut de gamme « en veux-tu, en voilà ! »
Ces prestigieux modèles sont essentiellement logotés Rolls-Royce et Mercedes, à l’image de cet impressionnant SUV Mercedes Maybach GLS 600 qui est venu rejoindre en catimini la flotte présidentielle en août dernier. Une façon pour le va-t-en-guerre local de provoquer un peu plus les puissances occidentales.
Pour en revenir à ce sommet du mois de juin entre Poutine et Kim Jong-Un, il n’avait hélas pas juste vocation à parler bagnoles ou à caresser des chiens Pungsan dans un enclos. Il avait en fait pour principal moteur la création d’une alliance militaire stratégique contre les Etats-Unis et ses alliés. Les deux dirigeants mis au ban de la communauté internationale ont en effet signé un traité qu’ils qualifient d’« exclusivement défensif et pacifique ». Il est question d’un accord de soutien mutuel contre tout « diktat » américano-européen qui viserait à contrecarrer les plans de Poutine en Ukraine ou de lancer une offensive armée sur leurs pays respectifs.
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