De l’éthique dans les factures de nos voitures ?
Faut-il moraliser nos achats automobiles ? D’abord, le peut-on ? Faut-il s’interdire d’acheter chinois ? Par patriotisme ou par éthique ? Et jusqu’où la Chine va-t-elle se nicher sous nos capots ?
Scandale au Brésil : les autorités fédérales ont découvert, sur le chantier de la future usine du constructeur BYD, que 163 ouvriers chinois travaillaient dans des conditions proches de l’esclavage. Envoyés sur place par Jinjiang construction, l’entreprise choisie par BYD, ils s’étaient vu confisquer leurs passeports - et 60 % de leur salaire – logeaient dans des cabanes insalubres (un sanitaire pour 30, pas de matelas) et travaillaient dix heures par jour et sept jours sur sept sous le soleil des tropiques.
Évidemment, BYD affirme n’être en rien responsable de la situation et se défausse sur son sous-traitant, lequel évoque des « différences culturelles », soutient que ces accusations « portent sérieusement atteinte à la dignité du peuple chinois » et que traiter ses ouvriers d’esclaves revient à les insulter. Bref, « la meilleure défense, c’est l’attaque » a dû être écrit par Sun Tzu bien avant que Joaquim du Bellay n’y songe…
Étrangement, le gouvernement brésilien ne monte pas l’affaire en épingle. C’est que cette usine, la première du constructeur aux Amériques, représente un investissement d’un milliard de dollars et devrait créer 10 000 emplois directs et indirects. Plus généralement, la Chine est le premier partenaire commercial du pays et le président Lula – qui se déplace dans une limousine offerte par BYD – entretient des relations parfaitement cordiales avec le président Xi Jinping.
On peut donc parier que la construction de l’usine BYD de Camaçari reprendra très vite, dans de meilleures conditions espérons-le.
Main-d’œuvre forcée chez VW
L’esclavage n’est pas une si vieille histoire au Brésil où il ne fut aboli qu’en 1888, et plus en théorie qu’en pratique. D’ailleurs, en 2019, on découvrit que Volkswagen y eut recours dans les années 70 et 80, dans des conditions bien pires encore – meurtres, tortures - pour bâtir et exploiter dans la forêt amazonienne, une gigantesque ferme d’élevage bovin destinée à approvisionner les cantines de ses usines locales.
Méchante coïncidence, quand en 2022 cette vieille affaire fut jugée à Brasilia, VW venait justement d’être accusé d’employer de la main-d’œuvre forcée Ouïghoure dans ses usines du Xinjiang en coopération avec son partenaire chinois SAIC (MG, Wuling, Roewe…).
En Chine l’esclavage a été aboli en 1910, mais d’innombrables sources s’accordent sur l’existence du travail forcé dans certaines provinces et entreprises.
Ces révélations n’eurent aucun impact sur les ventes des deux constructeurs.
Quel acheteur de VW, MG ou BYD, en Europe, se soucie des conditions de fabrication de sa voiture ? On pourrait étendre la question aux adeptes de l’IPhone produit en Chine par le taïwanais Foxconn dans des conditions pas vraiment syndicales et à la quasi-totalité de notre consommation de textile et d’appareils électroniques, électroménagers, informatiques…
Les délocalisations toujours en marche
Au fond, comment savoir ? Même s’ils ne sont pas aux 35 heures et pas d’avantage syndiqués, l’immense majorité des ouvriers chinois sont des travailleurs libres, dans l’acceptation chinoise du terme. Mais beaucoup, notamment au Xinjiang, ne le sont pas et ce sont peut-être eux qui ont peut-être réalisé le bobinage de votre alternateur ou démarreur, fondu l’aluminium de votre carrosserie ou moulé le plastique de vos pare-chocs. Plus généralement, une part croissante des pièces de nos voitures provient désormais de Chine, et cela doit d’avantage aux délocalisations, toujours en marche y compris vers la Chine, qu’à l’électrification.
On pourrait inverser la question : parmi ceux qui n’envisagent pas d’acheter de voiture chinoise et choisissent des appareils et vêtements fabriqués ailleurs qu’en PRC, combien le font pour des raisons éthiques ? Quelle éthique au fait ?
Morale ou patriotique ?
Quand, lors du défilé du 14 juillet 2021, Emmanuel Macron refusa de parader dans une DS 9 made in PRC, était-ce au motif que « nos emplettes sont nos emplois », le slogan des années 90, ou par répugnance envers la politique autoritaire mise en place par Xi Jinping ?
Et sur quelle base morale choisir ? D’abord, pourquoi l’ouvrier chinois n’aurait-il pas le droit de travailler au même titre que son confrère français, allemand, espagnol ou japonais ? Ensuite, à quel motif la Chine ne pourrait-elle pas devenir, à son tour, une grande puissance industrielle et exportatrice à l’exemple de l’Allemagne ?
Le « Démocrascore » reste à inventer
L’éthique de nos étiquettes est un casse-tête… chinois. Acheter une BYD fabriquée en Europe, c’est mieux ? Elle viendra bientôt de Hongrie, présidée par le peu libéral Victor Orban, proche de Poutine et de Xi Jinping.
Une Renault Clio ? Fabriquée en Turquie, sous la coupe d’Erdogan qui joue un jeu trouble en Syrie et réprime les Kurdes dans et hors de ses frontières ? Une américaine Tesla ? Son fondateur Elon Musk soutient l’extrême droite en Allemagne et au Royaume-Uni et il restera à choisir entre celles qui sont produites aux États-Unis, en Allemagne et en Chine.
S’il existe un Nutriscore, le « Démocrascore » reste à inventer et je souhaite bon courage à ceux qui s’y attelleraient.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération