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Carlos Tavares : parce qu'il le vaut bien ?

Dans Economie / Politique / Industrie

Michel Holtz

Le record de Carlos Ghosn est battu : au titre de l'exercice 2021, le directeur général de Stellantis devrait toucher 19,1 millions de rémunération, auxquels s'ajoutent plus de 47 millions qu'il pourra percevoir plus tard. Ce total de 66 millions fait polémique depuis 24 heures, et pose un problème d'ordre politique et social.

Carlos Tavares : parce qu'il le vaut bien ?

Depuis hier, l’autre Carlos apparaît comme un petit joueur. Souvenons-nous. En 2015, le salaire de Carlos Ghosn faisait scandale. Il était de 16,3 millions d’euros, ce qui hissait le boss de l’Alliance Renault Nissan sur le podium des patrons du CAC les mieux rémunérés.

Mais le temps a passé, Carlos s’en est allé et les records étant fait pour être explosés, c’est un autre Carlos qui s’en est chargé. Carlos Tavares, selon Mediapart qui a lâché la bombe mardi en fin d’après-midi, « va empocher une rémunération globale de 66 millions d’euros pour l’exercice 2021 ». C’est beaucoup, c’est gigantesque, c’est énorme. Mais ce n’est pas entièrement exact.

66 millions certes, mais pas tout de suite

Laurent Mauduit, l’auteur de l’article, comme tous les confrères qui ont repris l’info depuis, précise bien les modalités de ladite rémunération, après ce début d’article tonitruant. En fait, le boss de Stellantis va toucher, selon la ventilation établie par son conseil d’administration, 19,1 millions d’euros qui incluent la part fixe de ses émoluments (1,9 million) auxquels s’ajoute un variable plutôt coquet pour avoir atteint ses objectifs, notamment la fusion entre PSA et FCA, de l’ordre de 9,5 millions.

À cette somme déjà rondelette, s’ajoutent 2,3 millions de contribution à sa future retraite, une sorte de cagnotte dont Carlos disposera lorsqu’il ne sera plus aux affaires. Le reste ? Les 47 millions d’euros supplémentaires ? Ce sont des actions gratuites que Tavares ne peut pas réaliser avant 2026 et jusqu’en 2028.

Un bénéfice net de 13,4 milliards d'euros

Bien entendu, la somme de près de 17 millions d’euros (en déduisant le pécule pour sa retraite qu’il touchera lorsqu’elle sera effective) que Tavares va toucher cette année, est énorme pour un salarié lambda. Pourtant, elle est bien inférieure au salaire de Cristiano Ronaldo. Et les 125 millions d’euros qu’il empoche ne suscitent pas le début d’une polémique. De plus, Cristiano, dont le talent est certain, ne doit gérer que ses crampons, les buts qu’il doit marquer pour maintenir son équipe à niveau et sa réputation, pour espérer engranger la même somme l’an prochain. Quant à Tavares, il est à la tête d’une galaxie de 14 marques, d’un effectif de 280 000 personnes et il a réalisé, grâce à ces équipes, un bénéfice net de 13,4 milliard d’euros durant l’exercice 2021.

17 marques et une fusion bien négociée, pour le moment.
17 marques et une fusion bien négociée, pour le moment.

Pour autant, cette rémunération pose problème. D’une part parce qu’elle survient au pire moment : au milieu de l’entre-deux tours d’une présidentielle délicate, où le « président des riches », sobriquet accolé à Emmanuel Macron, affronte Marine Le Pen, censée représenter une « France des vraies gens ». Des vrais gens qu’elle observe depuis le haut de sa colline de Saint-Cloud.

Du coup, les réactions politiques et syndicales n’ont pas tardé, même si elles sont restées ultra-prudentes. Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement et responsable de la com de la campagne Macron a convenu « que ce ne sont pas des chiffres normaux. » Marine Le Pen quant à elle, s’est sobrement dite « choquée, mais moins que pour d’autres ». La candidate du RN estimant qu’elle n’avait même pas besoin de jeter de l’huile sur le feu pour qu’il s’embrase. 

Une prudence qui caractérise même les syndicats, du moins les plus raisonnables d’entre eux, puisque, pour la CFDT, Christine Virassamy, la déléguée centrale, s’est contentée d’expliquer que cette rémunération « a du mal à passer auprès des salariés à qui on demande tous les jours des efforts de compétitivité ». Son collègue de la CFTC, quant à lui, reconnaît que Tavares est « un très bon capitaine d’industrie, ajoutant néanmoins qu’à un moment donné il faut rester dans le raisonnable ».

Tavares a prévenu : la marche forcée vers l'électrique va générer des fractures sociales.
Tavares a prévenu : la marche forcée vers l'électrique va générer des fractures sociales.

Cette prudence des réactions sur le salaire de Tavares témoigne donc bien de l’étincelle qu’il pourrait représenter. Mais au-delà de l’enjeu politique, il comporte aussi un enjeu social pour les prochaines années, décisives pour l’industrie automobile. Tavares a beaucoup fustigé le passage « à marche forcée » vers la voiture électrique voulue par Bruxelles, et de prévenir de la casse sociale que ce basculement allait engendrer.

Or, son groupe, comme les autres, prévoit le passage à la voiture à batterie dans les quinze prochaines années. Et lorsque, dans quelque temps, il devra annoncer la fermeture de sites et les réductions d’emplois inhérents à cette bascule, nul doute que son très gros salaire lui reviendra, façon boomerang.

D’ici là, Tavares peut aussi suivre ses actionnaires qui ont voté contre cette rémunération et la revoir à la baisse. Même si ce vote n’est que consultatif, la pondération est aussi la marque d’un grand capitaine d’industrie.

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