Accessibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les stations-services d’autoroute forment un monde parallèle où l’automobiliste sait qu’il pourra se reposer, boire un café, ou se nourrir dès qu’il le désire. Une sorte d’oasis où il fait bon s’arrêter pour se dégourdir les jambes et briser la monotonie d’un long trajet parcouru aux 130 km/h réglementaires... Et quand on fait une pause, quoi de plus tentant que se s’emparer d’une bouteille d’eau bien fraîche, d’un soda ou d’un sandwich dans les grands frigos qui se présentent à nous ? Et c’est là que les choses se gâtent. Car sur l’autoroute, l’automobiliste est un client à la fois captif et - c’est vrai - un peu fainéant, qui règle une fringale subite d’un coup de carte bleue, conscient qu’il paie probablement un peu plus cher qu’ailleurs, mais sans véritable conscience de l’écart avec les « vrais » prix tels qu’ils se pratiquent en supermarché. Tel est justement l’objet de notre enquête, alors même que la saison estivale se dessine et avec elle de centaines de milliers de voitures lancées sur le grand ruban. Autant vous l’avouer tout de suite, nous avons nous-mêmes été proprement soufflés par les tarifs pratiqués sur certains produits (+321% sur de l’eau gazeuse, notamment !). Et, comme vous allez le constater, par le refus des grandes enseignes de commenter les écarts constatés...
Comment nous avons procédé.
Durant cette enquête, nous avons sillonné l’autoroute A11 (Paris-Nantes) pour effectuer des relevés de prix dans les stations-services, ce qui nous a permis de constater des tarifs très proches - voire identiques - pour les mêmes produits d’une enseigne à l’autre. Nous avons en outre acheté notre panier moyen dans une de ces stations (Esso Chartres Gasville, mais enseigne Franprix pour la boutique), puis nous sommes rendus le même jour à l’hypermarché Carrefour de Rambouillet (78), à une cinquantaine de kilomètres de là, pour acheter des produits identiques et effectuer notre comparaison tarifaire.
Les produits concernés sont :
- Bouteille de San Pellegrino 1 litre
- Bouteille de Coca-Cola light 50 cl
- Sandwich triangle jambon-beurre
- Chewing-gum Freedent (uniquement vendus par paquet de 5 en hyper, nous avons donc calculé un prix à l’unité pour établir notre comparaison)
- Boîte de chips Pringles crème-oignon (les meilleurs!)
- Paquet de Maltesers 192,5 g
- Bidon de 5 litres de liquide lave-glace
- Huile 0W40 Mobil (nous n’avons trouvé que de la 0W30 Castrol en hyper, mais cela ne change pas grand-chose en réalité : il s’agit exactement du même type de produit haut de gamme, aux caractéristiques parfaitement comparable ; vous allez d’ailleurs constater que ce n’est pas là-dessus que l’écart constaté est le plus grand)
Et les surcoûts en station-service s’établissent à :
+321 % sur de l’eau gazeuse
Après deux heures de route, quoi de plus agréable qu’une bonne rasade d’eau gazeuse bien fraîche ? Seulement voilà, la bouteille de San Pelegrino qui vous sera facturée 2,4 € à la station-service d’autoroute vous aurait coûté 0,57 centimes au supermarché ! En d’autres termes, le surcoût - qui est le plus élevé constaté par nos soins - s’établit ici à... 321%. Un tarif plus que quadruplé ! Une marge tout bonnement hallucinante sur l’un des produits les plus prisés des automobilistes. Si l’on appliquait la même hausse au carburant, le litre de gazole passerait de 1,20 € à l’hypermarché à 5,05 € sur l’autoroute !
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
San Pellegrino 1 litre |
0,57 € |
2,4 € |
+321 % |
+195 % sur un sandwich jambon-beurre
Facile et rapide à manger, le sandwich triangle s’est imposé comme un must sur l’autoroute. Dans sa version la plus basique, le jambon-beurre, on constate un écart de 195% par rapport à la grande surface, soit un tarif quasiment triplé. Avant le prochain grand départ, surtout pensez à préparer les vôtres à la maison.
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Sandwich triangle jambon-beurre |
0,88 € |
2,6 € |
+195 % |
+138 % sur un paquet de chewing-gum
Arrivé à la caisse, vous vous apprêtez à payer votre plein d’essence (au tarif déjà majoré par rapport à d’autres stations du réseau secondaire). Et sans réfléchir, prenez ce petit paquet de chewing-gum à la menthe - ça réveille - affiché 1,45 €. Surtout, évitez à ce moment-là de penser que le même paquet vous coûterait 0,61 € en supermarché.
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Chewing gum Freedent (10 dragées) |
0,61 € |
1,45 € |
+138 % |
+90 % sur du soda
Bien pratiques, ces bouteilles de 50 cl de Coca-cola que l’on peut refermer avec un bouchon. En voiture, leur format est même idéal car l’on peut les glisser dans les porte-gobelets. En station-service, elles occupent généralement d’immenses rayonnages réfrigérés, signe du succès qu’elles rencontrent auprès des voyageurs. Du coup, pourquoi se priver ? Allez hop, 90 % de surcoût !
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Coca-Cola light 50 cl |
1 € |
1,9 € |
+90 % |
+88 % sur des chips
Nous avons eu beau compter et recompter, il n’y a pas plus de Pringles dans la boîte vendue sur autoroute. Dans ces conditions, on digère assez mal le surcoût de 88% constaté entre les deux types d’enseignes. Prix au kilo sur autoroute : 17,5 €, ce qui commence à faire cher pour des pommes de terre, même arrangées.
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Pringles crème-oignon |
1,54 € |
2,9 € |
+88 % |
+84 % sur des friandises
Tout seul dans sa voiture, on est parfois tenté de s’offrir un bon moment de régression en plongeant dans un paquet de Maltesers (attention au chocolat fondu sur le volant, hein !). Gardez juste en tête que le produit vous revient à 25,5 € le kilo en station, soit presque le double de celui constaté en hypermarché. A ce prix, il y a sûrement de meilleures façons de s’engraisser.
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Sachet de Maltesers |
2,66 € |
4,9 € |
+84 % |
+ 29% sur un bidon d’huile
Paradoxalement, ce n’est pas sur le produit le plus cher de notre sélection que l’on observe la plus forte inflation des tarifs. Moins de 30% de hausse d’un réseau de distribution à l’autre, cela reste à peu près acceptable.
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Bidon d’huile de synthèse 1 litre |
15,44 € |
19,95 € |
+29 % |
+ 14% sur du lave-glace
Avec tous ces satanés moustiques à décoller du pare-brise, on a tôt fait de vider son réservoir de lave-glace sur l'autoroute. Et c’est la - pas trop mauvaise - surprise de notre enquête : on constate seulement 14% d’augmentation pour ce produit par rapport à l’hypermarché, ce qui peut étonner si l’on songe à la culbute réalisée sur d’autres liquides, plus comestibles ceux-là.
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Prix hypermarché |
Prix autoroute |
Surcoût autoroute |
Bidon de 5 litres de liquide lave-glace |
6,9 € |
7,9 € |
+14 % |
Entre l’hypermarché et l’autoroute,
notre « panier moyen » subit une hausse de 49%.
Si l’on considère uniquement la nourriture, l’écart moyen grimpe à... 122%,
soit des tarifs plus que doublés !
Ci-dessus, les tickets de caisse de nos « paniers moyens ». Si l'on compte le paquet du chewing gums à l'unité (0,61 €), la facture en grande surface s'établit à 29,6 €. Soit un écart de 49 % entre les deux types d'enseigne pour les mêmes produits.
Pourquoi de tels écarts de tarifs ?
Loi du silence. Forts de ces chiffres, nous avons contacté par e-mail et/ou téléphone les services communication des grandes enseignes de distribution présentes sur autoroute : Total, Shell, Esso, Leclerc et Carrefour. A toutes nous avons demandé la possibilité d’interviewer en vidéo un responsable qui nous expliquerait les - sûrement excellentes - raisons justifiant les écarts de prix évoqués plus haut. Parmi les arguments auxquels nous pouvions nous attendre, citons notamment l’ouverture obligatoire des stations-service tous les jours de l’année, et 24h/24, les restaurants fonctionnant de 6h et 22h, ou bien encore une activité confrontée aux grandes fluctuations de trafic (de l’ordre de 1 à 10, avec un pic au mois d’août), etc. Tout ça, nous étions prêts à l’entendre. Hélas, aucune des sociétés contactées n’a accepté de répondre à nos questions. Malgré les délais confortables que nous leur laissions (trois jours ouvrés) pour nous trouver un interlocuteur, toutes ont argué de l’impossibilité de trouver quelqu’un dans les délais... Des refus diplomatiques qui cachent un véritable malaise face à des pratiques pour le moins contestables. A l’échelle de la France, rappelons au passage que 1000 commerces opèrent dans 423 aires de service (chiffres 2014 de la DGCCRF).
Seul Total (le premier contacté, forcément) a esquissé un semblant de réponse par e-mail dont nous vous livrons ici un extrait : « Il faut d’abord savoir qu’une station sur autoroute, cela coûte plus cher à exploiter qu’une station classique. Sur autoroute nous sommes locataires du terrain sur lequel sont situées nos stations. Nous payons donc un loyer (une redevance) aux sociétés d’exploitation d’autoroute qui est très élevé. [...] Nos clients savent aussi qu’ils trouveront sur autoroute un niveau de services qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Ils ne s’arrêtent pas chez nous « par hasard… » (130 millions de visiteurs chaque année font une pause sur les aires que nous exploitons). Nous investissons fortement pour cela ! Pour l’anecdote, moins d’un tiers des automobilistes font halte dans nos stations pour faire le plein, ils viennent profiter de l’ensemble des services que nous mettons à leur disposition gratuitement. Cela peut faire sourire, mais ils sont très nombreux à venir par exemple pour nos toilettes, parce qu’elles sont plus propres. Nos stations sur autoroute sont ouvertes 7/7 24/24. Pour faire tourner ces stations qui sont de vraies petites PME il faut du personnel (15-20 salariés en moyenne). » Un concentré de langue de bois qui n’aurait pas déparé dans la rubrique questions/réponses du journal de Mickey, et qui s’accompagnait d’une invitation à « toquer aux portes des autres enseignes ».
Ce que nous avons notamment fait chez Esso, où l’on nous a invités à nous tourner vers Elior, groupe spécialisé dans la restauration collective et les services, qui gère l’approvisionnement des stations-services du pétrolier. Hélas, Elior nous a ignorés. Sujet sensible, manifestement. Quant à Leclerc et Carrefour, qui exploitent quelques stations sur autoroute dans lesquelles on ne casse pas vraiment les prix (ben voyons...), ils ont également opposé une fin de non-recevoir à nos demandes. Là encore, des problèmes d’agenda pour trouver un interlocuteur valable! Décidément...Nous nous sommes aussi tournés vers l’Association des Sociétés Françaises d’Autoroute (ASFA) lesquelles ne font que louer les terrains aux sociétés exploitant les stations, mais ne sont en rien responsables des tarifs pratiqués en boutique. Du coup, difficile d’obtenir ici un commentaire sur lesdits tarifs. L’ASFA invite malgré tout à comparer les tarifs pratiqués en station à ceux pratiqués dans d’autres situations de transport (boutiques dans les aéroports ou les gares) plutôt que ceux pratiqués en grande surface où les contraintes ne sont pas les mêmes, et insiste sur le fait que les boutiques remplissent une mission de service aux automobilistes, avec pour corollaire des charges importantes en termes de personnel. Enfin, l’ASFA précise que les seuls carburants ne rendent pas une station-service d’autoroute rentable : « Avec un plein, on fait environ 600 kilomètres. Sur un long trajet, on effectuera éventuellement un appoint de carburant mais c’est tout. Les stations tirent leurs revenus des boutiques, où l’offre se diversifie depuis quelques années avec des rayons type vêtements, jouets ou librairie. » Message reçu.
Pour autant, si l’on revient au poste nourriture qui nous intéresse aujourd’hui, pourquoi ne constate-t-on pas une hausse « forfaitaire » équivalente dans tous les types de produits ? Pourquoi faire quadrupler le prix de l’eau minérale et se contenter de « seulement » tripler celui du soda ? A ces questions, nous n’obtiendrons pas de réponse « officielle ». Car l’explication est finalement très simple : sur autoroute, les automobilistes apparaissent comme les parfaits pigeons. Les tarifs pratiqués dans le commerce sont libres, certes, mais on constate qu’ils le sont d’autant plus que la clientèle est captive.
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