Ces deux Walker n'ont peut-être pas grand chose à partager, si ce n'est que prendre la route fut un acte décisif pour bien des photographes américains, à commencer par Evans justement (American Photographs, 1938), ou encore Robert Frank (The Americans, 1958) et Stephen Shore (American Surfaces,1972). Quant à Ed Ruscha — qui a produit de nombreuses photographies sans se considérer à proprement parler comme photographe — c'est à bord d'une Buick, modèle 1963, qu'il réalisa son Royal Road Test quatre ans après la mise en circulation de cette voiture. L'expérience consista à jeter par la fenêtre du véhicule lancé à pleine vitesse une machine à écrire de marque Royal, un livre documentant ensuite cette action à la manière d'un rapport d'enquête sur les traces de la machine fracassée. Ruscha roulait-il déjà en Buick lorsqu'il photographia les stations-service de la mythique route 66 pour son livre Twentysix Gazoline Stations (1963)? Ou lorsqu'il photographia tous les bâtiments du Sunset Strip sur le Sunset Boulevard à Los Angeles (Every Building on the Sunset Strip, 1966)? En tous cas, Simon Morris s'est explicitement inspiré de son travail lorsqu'il a reproduit le Royal Road Test en substituant à la machine à écrire les mots découpés un à un, et réunis dans un sac, du livre L'Interprétation des rêves de Freud. "L'interprétation des rêves, disait freud, est la voie royale vers l'inconscient". "The royal road to the unconscious" dans la langue de Morris, qui est britannique. Le remplacement de la machine à écrire par les mots freudiens n'est pas la seule substitution dans ce projet citant celui de Ruscha, puisqu'en lieu et place d'une Buick 1963, c'est une Renault Clio Sport qui sert là de véhicule pour l'expérience (The Royal Road to the Unconscious, 2003). Est-ce par fascination, monomanie ou simplement par association d'idées? Toujours est-il que Simon Morris a conçu un autre ouvrage où la route occupe une place importante. Morris a en effet recopié intégralement, dans une logique d'écriture non créative, le livre On the Road [Sur la route] de Jack Kerouac, au rythme d'une page par jour. D'abord publiés sur un blog, ces textes ont ensuite été réédités sous la forme d'un nouveau livre, dans leur ordre de lecture sur le web, c'est-à-dire du plus récent au plus ancien, ou autrement dit depuis la fin du roman jusqu'à son commencement. Le livre de Morris (Getting Inside Jack Kerouac’s Head, 2010), méthodique, protocolaire, rédigé durant deux années, devient alors en quelque sorte l'envers de celui de Kerouac, qui lui l'aurait écrit de manière continue, spontanée et avec une rapidité étonnante. De l'étonnement, c'est ce qu'ont dû ressentir les personnes qui ont croisé la route de Julie C. Fortier et de son compagnon durant une journée de l'été 2003, le long d'un itinéraire menant d'une carrière à une station essence en passant par la plage. Sur les galeries de toit de son AX Citroën, sanglé, se maintenait un imposant rocher, factice mais fort vraisemblable (Vous avez juste pas pu trop profiter de l’été, quoi, 2003). Cette polysémie du terme "galerie" est d'ailleurs amusante. De la galerie de toit, destinée au transport de marchandises, à la galerie d'exposition, n'y aurait-il qu'un pas ? C'est en tous cas ce que tend à démontrer la galerie Fiat Panda.


Fin janvier, nous avions annoncé une mutation de Minuit chicanes permettant d'accueillir, sous des formes variables, à intervalle irrégulier des invités dans Minuit chicanes. La contribution de ce soir est la deuxième de ce type après les dessins inédits de Alex Chevalier du 30 janvier dernier; elle est signée de Jérôme Dupeyrat, doctorant en esthétique, éditeur et enseignant en histoire de l'art contemporain. Qu'il en soit vivement remercié.