Les jardiniers sont, c'est bien connu, des amoureux de la nature au même titre que les chasseurs. Taillant fièvreusement leurs haies de façon cubique et utilisant engrais et désherbants sans compter pour avoir les plus beaux massifs de bégonias du quartier, il fait aussi partie de leurs habitudes dominicales de raccourcir à la hauteur réglementaire la bande verte tendre ceinturant leur pavillon avant de l'arroser généreusement même aux heures les plus chaudes de la dernière canicule.
Pour cela, rien ne vaut la bonne vieille tondeuse à gazon, dont le démarrage vigoureux laisse échapper des volutes bleutées dont l'odeur rappelle le mélange deux temps que son propriétaire nostalgique mettait dans sa Bleue adolescente. Et qui accessoirement polluent presque 100 fois plus qu'une voiture.
En effet, selon les chiffres du California Air Resources Board, une tondeuse à gazon de 2006 pollue exactement 93 fois plus qu'une voiture de la même année par litre d'essence, et serait responsable de 2% de la pollution au smog californien. Il existe pourtant une alternative simple qui fonctionne déjà très bien sur les voitures : adopter un pot catalytique qui serait dans ce cas précis de la taille d'une balle de golf.
C'est bon, l'affaire est résolue, on remballe et on va profiter du week-end dans les bois ? Que nenni, c'est justement là que démarre toute l'histoire.
Bienvenue dans ce combat de catch à quatre. Dans le coin droit du ring, l'Agence fédérale de protection de l'environnement et l'Etat de Californie, avec leurs slips frappés (aïe ! ) de la bannière étoilée. A ma gauche, Briggs & Stratton, le plus grand fabricant américain de matériel de jardin et Bond, Christopher Bond, le sénateur républicain du Missouri, reconnaissables au $ sur leurs bottes dorées. Et entre les deux, un marché de 6 millions de tondeuses par an.
Le gong résonne et le match commence. Premier coup, un magnifique atemi à la gorge porté par l'agence fédérale de protection de l'environnement sous la forme d'une nouvelle réglementation californienne visant à réduire la tolérance d'émission polluante pour les petits moteurs, ce qui équivaudrait à imposer le pot catalytique. Une telle décision qui, si elle était acceptée, diminuerait de 22 tonnes par jour les rejets de polluants dans le ciel de la Californie, soit l'équivalent de 800 000 voitures en moins sur les routes. Briggs & Stratton est ébranlé par le choc, mais réplique par un coup de la corde à linge : le pot catalytique augmenterait la chaleur déjà importante dégagée par les moteurs, ce qui multiplierait les risques de départ d'incendie, un argument de poids dans une Californie sévèrement touchée par ces catastrophes. Mais l'agence fédérale de protection de l'environnement s'est spécialement entraînée pour encaisser ce genre de coups, ce sont les mêmes qui étaient utilisés dans les années 70 par les constructeurs automobiles !
Briggs & Stratton peut compter sur son allié de poids, le sénateur Bond, Christopher Bond. Par son second poste de dirigeant de la commission des Finances du Sénat, celui-ci se charge de diminuer la portée et la puissance des attaques de son adversaire en ayant fait modifier en 2003 et 2005 les règles d'affectation des crédits, un étranglement parfaitement appliqué. Les raisons d'une telle manœuvre ? Briggs & Stratton a deux usines dans son Etat du Missouri, et l'augmentation des frais de production amenée par l'installation d'un pot catalytique pourrait faire disparaître 1750 emplois. Mais le sénateur Bond, Christopher Bond, veut terminer le combat au plus vite par un KO spectaculaire, avec des coups de coude au visage : il fait interdire aux autres états de s'aligner sur les réglementations californiennes.
Une prise de soumission qui fait son effet, pendant que Briggs & Stratton attire l'attention de l'arbitre débordé par la férocité du combat, en disant que leurs moteurs polluent 70% de moins qu'il y a 15 ans et qu'il faudrait augmenter les prix de vente de toute sa production de 30% pour satisfaire aux nouvelles normes. Mais l'agence fédérale de protection de l'environnement, dans un dernier soubresaut, parvient à se libérer d'un coup de tête en faisant tout de même réduire les normes fédérales...
La cloche sonne, c'est la fin du premier round. Que nous réservera le second ? Réponse dans les mois à venir.
Source : Courrier International
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