Si vous vous souvenez de notre virée à Dijon Prenois en Jaguar XKR-S Cabriolet, vous savez qu’à l’époque je n’avais pas eu l’autorisation (ni moi ni personne d’ailleurs) d’en prendre le volant sur le circuit. Au moment de passer la barrière qui me fait entrer sur LA piste la plus fantasmée de la planète à bord d’un coupé XKR-S noir, je pense à ça et je me marre. Nerveusement.




Vidéo - Les Virées Caradisiac en Jaguar dans l'Enfer Vert : des félins dans l'Eifel

Découvrir sur circuit la Jag’ la plus rapide de l’histoire (V8 compressé de 550 ch et 680 Nm de couple) sur les 21 km du mythique Nürburgring n’est pas le programme le plus adapté pour trouver un profond sommeil la veille au soir. D’ailleurs, si j’ai dormi 3h, c'est un grand maximum. En y réfléchissant, je me dis aussi que la plus grande inconnue de cette journée n’est pas tant de savoir ce que vaut la XKR-S sur circuit, mais plutôt de savoir ce que je vaux sur le Nürburgring ! Comme certainement beaucoup d’entre vous, je ne connaissais la piste de l’Eifel que sur le jeu vidéo Forza que je me souviens d’ailleurs avoir acheté dans l’unique but de découvrir ce tracé afin d’être au point l’hypothétique jour J … qui se trouve être aujourd’hui. Mais c'est beaucoup trop tôt ! Je m'en veux alors terriblement d'avoir cédé aux sirènes de la vie sociale normale et de ne pas avoir été plus assidu devant ma console. Un soupçon de honte m'étreint car à ce moment, j'envie les geeks fanatiques.

Entre les locaux du Centre de test Jaguar et l’entrée de la piste (1 km), je suis bombardé d’une flopée d’émotions en tous genres, je transpire l’adrénaline, je sens mon cœur cogner dans ma boîte crânienne (?), ma tension doit approcher les 20, j’ai l’impression que mon estomac s'auto-digère et que ma bouche n’a vu que du sable ces 6 derniers mois, bref, je ressemble à un pré-ado au moment de rouler sa première pelle. Je me rends alors compte que je suis déjà en apnée avant même de rentrer sur la piste. Je me rassure tant bien que mal en pensant que ma cagoule et mon casque doivent cacher le fait que mon visage vire au violet. Il faut que je me calme, que je fasse chuter mon rythme cardiaque et surtout que je me souvienne dans quel sens tourne les premières courbes. Mon cœur repart de plus belle ! J'inspire, j'expire et j'ose croire que mes souvenirs de console suffiront à afficher au bon moment dans ma tête (c'est-à-dire un peu avant qu’il ne survienne) la forme du virage souvent aveugle qui suit le précédent. Autant vous le dire tout de suite, c’était une erreur que de le croire.


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Il y a un autre paramètre stressant. Cet événement baptisé Jaguar Driving Experience qui se déroule non pas lors d’une session ouverte au public comme ce fut le cas pour Pierre mais lors d’une journée où seules les écoles peuvent rouler va nous permettre de prendre le volant de la XKR-S de 550 ch mais également de la XFR et de la XJ SuperSport équipées toutes deux du même V8 compressé envoyant 510 ch sur les seules roues arrière. Avec notre ouvreur, c’est donc un convoi de 4 voitures qui part à l’attaque des premières courbes juste dans la ligne droite du retour qui aboutit à Tiergarten et ma plus grande hantise est d’être celui qui va faire ralentir le reste du groupe. Mon autre hantise (tout aussi grande) est de me retrouver dans un groupe où un amputé du pied droit a pris place, ce qui obligerait Sasha l’Instruktor à adopter un rythme de touriste pour ne pas le perdre ! De quoi se fâcher tout rouge avec un collègue (on ne peut pas être pote avec un gars qui vous gâche vos premiers et peut-être seuls tours sur le Ring, non ?). Par bonheur, avec Florian et Pierre-Jean, nous allons former un trio rapide et homogène (merci les gars, vraiment), de quoi inciter Sasha à mettre (un peu) les gaz et permettre à notre convoi « Presse Française » de doubler quelques-uns de nos confrères moins chanceux. Voilà, je suis à l’aube des 2 heures les plus mémorables de ma petite histoire puisque nous effectuerons 3 tours dans chaque voiture et aurons même droit à un petit bonus de 2 tours supplémentaires lorsque des confrères « épuisés » nous abandonneront leur dernière série (je n’y croyais pas non plus !). Comme cela prend 9 à 10 mn pour faire une boucle, faites le compte, ça va effectivement durer près de 2 heures. Sur le Nürburgring, quand un pote vous dit, je fais un tour et je rentre, vous savez que vous avez le temps d'aller boire un café, tailler le bout de gras avec la serveuse, refaire les niveaux de votre auto et même ceux de la voiture de la serveuse.


Le Nurb’

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Pour débuter le briefing, les gars de Jaguar nous ont passé un petit film d’une dizaine de minutes. À aucun moment, on ne vous explique comment passer une courbe, tenir le volant, ni ne vous recommande d’être prudents sur un tracé difficile, non, cette vidéo était une sympathique compilation des crashs enregistrés sur la Nordschleife ! Le poids des images suffit, croyez-moi, à vous convaincre d’aborder la journée avec humilité. Et le Traction Control en mode Sport et pas en Off.

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Christian Danner, ancien pilote de F1 et de DTM, est également passé nous voir durant le briefing avec des conseils plus concrets : « Il faut anticiper, pas réagir. Ressentir l’auto avant de pousser. » Il a raison, le Nürburgring, c’est simplement terrifiant. Les vitesses oscillent entre 110 et plus de 300 sur une route étroite, bosselée, hyper vallonnée où les vibreurs font parfois 30 cm de haut (parfois ils sont plats aussi) et où une grande partie des virages s’engage à l’aveugle. Et comme la distance qui sépare le bitume du rail ( à peine suffisante pour garer votre épave fumante) est constituée d’une herbe bien grasse, je pense qu’il est possible de s’envoler au-dessus des barrières et finir dans la forêt si l’on s’y prend bien (au fait, tous les entrants sont-ils pointés à la sortie ?). La connaissance du terrain s'avère primordiale, pas seulement des courbes mais également des énormes bosses qui à certains endroits se trouvent pile sur la trajectoire. À ce propos, oubliez vos heures passées sur console, aucune des pistes numérisées n’est fidèle à la réalité, ni en ce qui concerne la largeur du bitume, ni sur l’extraordinaire dangerosité de certains vibreurs, ni sur les énormes bosses du circuit, ni sur certaines dénivellations hallucinantes (de vrais murs !) qui parviennent à vous mettre un voile devant les yeux lorsque l’auto lancée à près de 160 tombe dans un « creux » de 3m et vient en compression, envoyant une dose de G verticaux dans votre cerveau guère habitué à l'exercice.

Pour permettre aux gens de Jaguar de retrouver tous les journalistes vivants en fin de journée (et leurs autos avec), l’Instruktor évite de prendre les v-max sur les parties extrêmement rapides du circuit. On se cantonne donc aux alentours de 220 km/h sur des portions où il est possible de prendre plus de 300. Par exemple, dans la grande ligne droite de Döttinger Höhe, le léger gauche sous la passerelle publicitaire que vous prenez à fond complet sur votre console les doigts dans le nez et dans le paquet de chips devient subitement la plus grosse frayeur de votre vie quand à plus de 250 (oui, j’avais laissé mes copains de convoi prendre un peu d’avance) vous sentez votre auto qui « s’en va » sur les bosses. Une auto de 1.8 tonnes qui se met à glisser à cette allure-là sur un ruban de bitume aussi étroit, ça vous cause des chaleurs inimaginables tandis que vous frôlez la crampe des muscles fessiers. C’est passé (puisque je suis là pour l’écrire) mais étant persuadé que ça ne présentait pas de difficulté et vu que je n’étais pas à fond depuis le début de la ligne droite, une peur rétrospective m’a envahi. Où aurait fini de glisser la XKR-S si j’étais vraiment arrivé à la vitesse maxi ?

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Ce genre de grosse chaleur peut se reproduire à 2 ou 3 autres endroits du circuit (à peu près aux mêmes vitesses) mais il faut aussi prendre conscience que les parties plus lentes et plus rythmées se négocient toutes entre 130 et 180 km/h. Vous n’avez peut-être pas l’impression d’être en grand danger, c’est une erreur. La particularité de ce circuit tient dans la courbure différente de chaque virage, souvent aveugle, et il est très facile de confondre un gauche plongeant qui ouvre avec un gauche plongeant qui ferme… et de se mettre dehors à 150 km/h (rappelez-vous la distance qui sépare le vibreur du rail). Pour ceux qui veulent savoir, si vous arrivez jusque-là, le Karussell n’a pas grand intérêt. C’est extrêmement bosselé et franchement lent, et sa seule utilité est de vous rappeler tout à coup où vous êtes. Au moment ou vous vous lancez dedans, vous vous dites « J’y suis » et l’instant d’après, vous vous reconcentrez pour éviter de perdre la voiture en sortant de la partie inclinée ! Pour l’anecdote, sachez que lors des baptêmes de piste aux côtés de l’Instruktor Sasha Bert, celui-ci active le mode Confort de la suspension au moment de « tomber » dans le Karussell cimenté pour repasser en mode Sport dès le retour sur le bitume. Fort.

En fait, après avoir effectué plusieurs tours et s’être fait plusieurs chaleurs sur des courbes que je pensais abordées avec une belle marge de sécurité, je prends la mesure du défi que constitue ce tracé. Sans la présence d’Instruktor devant nous pour donner le rythme, il y a de fortes probabilités que l’un de nous 3 (si ce n’est les 3) ne serait jamais parvenu au bout de la journée sans avoir touché. Donc, écoutez ce conseil. Au moment où vous pensez prendre la mesure de la piste, stoppez, allez prendre un café et repartez pour une bonne dizaine tours à allure mesurée. Puis recommencez.

Dirk Schoysman qui a participé à la mise au point de la Nissan GT-R sur cette piste affirme qu'il faut au moins 100 tours dans les bras pour commencer à attaquer. Je pense qu'il a raison.


La XKR-S

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Sasha Bert n’est pas un metteur au point Jaguar, il est pilote GT en VLN et possède une structure de coaching qui travaille sur le Nürburgring. Il s’occupe d’organiser et d’encadrer ces Jaguar Drive Expérience (pas ouverts au public) et il est l’auteur du 7’58’’ réalisé par la version XKR-S Cabriolet. Le Coupé a quant à lui été chronométré en 7’51 par Autobild. Sachez que Sasha roule lui aussi avec l’ESP en mode Sport sur le Ring où pour aller vite il faut être fluide et doux avec sa monture. C’est nécessaire pour aller au bout du tour avec des freins en état (c’est utile) et des pneus encore frais (c’est utile aussi) mais c’est aussi dû à la nature de cette piste rythmée qui possède peu de virages lents. Pour résumer, l’ESP Sport de la Jaguar XKR-S est parfaitement calibré pour ce circuit qui ne réclame quasiment jamais de faire pivoter l’auto sur les freins et il est tout à fait possible d’être très agressif sur les freinages ou de caler l’auto dans le rapide sans le faire intervenir. Et lorsqu’il intervient c’est que vous souvirez parce que vous avez surchargé votre train avant ou que vous êtes en train de perdre l’auto. Donc on lui dit merci et on le laisse branché.

La XKR-S est une auto équilibrée, progressive voire même confortable et pour tout dire assez rassurante avec son train avant qui accepte sans trop se faire prier de prendre la tangente. Par contre, son poids conséquent vous empêchera d’en demander trop sous peine d’avoir l’impression de jouer Holiday on Ice dans le couloir de votre studio. Disons que sa mise au point réalisée ici même est réussie, l’auto et le circuit vont très bien ensemble. Cette cohérence est sanctionnée en France par de bonnes ventes puisqu’il s’en est vendu 40 exemplaires alors que Jaguar France pensait en écouler seulement 20.


La XFR

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Rien de ce qui a été dit plus haut au sujet de l’osmose entre la XKR-S et le Nürburgring n’est récupérable pour la XFR. Cette jolie berline de 510 ch et 625 Nm n’a visiblement pas été mise au point ici. Outre un équilibre châssis perturbant avec pas mal de difficulté à caler la voiture en appui, on a également un mal fou à la faire tourner. Les entrées et sorties de courbe mettent très vite en branle l’ESP qui coupe l’injection, actionne les freins et empêche la puissance d’arriver, ce qui rajoute à l’incompréhension du pilote. Ne pas parvenir à comprendre les réactions de l’auto fait que la confiance ne vient jamais et voir les camarades vous coller aux basques sur chaque relance bridée par l’électronique finit de vous mettre en rogne… et donc de vous faire commettre d’autres erreurs (any mistake …). Manifestement, la XFR n’est pas à son aise sur circuit, son domaine c’est la route et seulement la route.


La surprise du chef : la XJL SS !

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Au sortir des 3 tours en XFR, on n’entre pas vraiment avec le sourire dans la XJ L SuperSport. Il y a d’abord cette silhouette un peu lourde et cette poupe qui manque de chien, il y a ensuite cet intérieur exquis et d’un raffinement tel … qu’on se demande ce qu’elle fait ici, aux abords de la piste la plus terrible de la planète. Et puis il y a ce « L » qui signifie « empattement long », Moyen Orient, voiture avec chauffeur, bref, tout sauf sport. Du coup, on jette des regards envieux au collègue qui récupère la XKR-S et on essaie d’oublier que ce beau bébé de 5.25m de long pèse 2 tonnes. Puis dès les premières courbes, tout se passe comme dans les Blockbusters américains ou à la fin, c’est la gentille dame qui est finalement la méchante (svp, pas de blague sur Marion Cotillard). La XJL SS avec son empattement de 3.15m est un pur régal ! Imperturbable sur les longs appuis et dans les courbes rapides, la XJL SS est sereine jusqu’aux entrées de courbe qu’elle prend avec plus d’honnêteté que sa petite sœur XFR. Une auto qui tourne vous permet de raccélérer plus tôt et dans la XJL, très vite, les doigts démangent de l’envie d’envoyer des appels de phare à la XFR qui se tortille et qui bouchonne devant. Pour une surprise, c’est une sacrée surprise qui met toutefois en lumière une caractéristique du tracé de ce circuit qui rejaillit forcément sur le typage des autos mises au point ici : pour y rouler vite et en confiance, il faut avoir dans les mains une auto stable (longue), équilibrée (moteur avant ?), pas mal de chevaux, une suspension absorbante et de bons pneus (les Jaguar sont chaussées en Pirelli P Zero). Les autos qui motricent bien, à l’empattement court et au moteur arrière (suivez mon regard) ne sont naturellement pas conçues pour aller vite ici.

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Certes, les freins de cette XJL SS ne résistent pas extrêmement longtemps et le grip des pneus qui compense un temps le roulis important n’est pas éternel mais franchement, à part les gens de Jaguar eux-mêmes, qui aurait pu avoir l’idée d’envoyer une XJ en circuit et donc de découvrir ses aptitudes cachées ? Personne (de pas anglais en tout cas). Après cette dernière session surprenante il n’y a donc pas à chercher très loin pourquoi, lorsque l’idée de construire un « Ring Taxi » s’est imposée, les gens de Jaguar ont choisi une XJ SS. Moi qui trouvais jusqu’ici son style sans grande saveur, j’avoue qu’en gris mat, avec 4 baquets et un arceau à l’intérieur, je la vois désormais d’un tout autre œil, cette XJ des familles.


Voilà, au soir d'une journée mémorable, on comprend un peu mieux ce qui amène tous ces constructeurs dans l'Enfer Vert et mieux encore, en prenant le volant des autos mises au point ici, on admet que tout ceci est moins marketing que ce qu'on voulait bien croire jusqu'ici. Oui, une Jaguar sur le Ring, ça peut être extrêmement jouissif.


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Twitter : @PatPanick