Une épitaphe pour les ZFE ?
C’est une poignée de députés réunis en commission qui a voté l’abrogation des ZFE contre l’avis du gouvernement. Peut-on enfin tirer une croix sur ce dispositif dont l’utilité devenait contestable et qui risquait de faire ressortir les gilets jaunes des boîtes à gants ?

Vingt-six voix pour, onze contre et neuf abstentions, c’est ainsi en petit comité - en commission pour être précis - qu’a été scellé le sort des zones à faibles émissions, depuis longtemps surnommées, « zones à forte exclusion ». On salue au passage le rôle joué par l’écrivain Alexandre Jardin qui, à travers son mouvement Les #Gueux aura été le parfait procureur du procès fait aux ZFE, procès que j’initiais il y a quatre ans.
Si le parlement n’a pas encore statué sur l’abrogation de leur caractère obligatoire, elle semble désormais acquise et on souhaite bon courage (politique) aux députés qui voudraient y revenir. La Direction générale du Trésor peut bien agiter la menace du remboursement d’un milliard d’aides européennes et du non-versement de 3,3 milliards prévus en 2025, députés et sénateurs ne prendront pas le risque de rallumer une grande révolte populaire.
Le plus dingue dans cette histoire, c’est que ces ZFE programmées par la loi d’orientation des mobilités (LOM) début 2019, ne devaient originellement concerner qu’une demi-douzaine de métropoles et que ce sont les citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat qui ont étendu le dispositif à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, soit 180 villes en comptant les banlieues donc, en gros, à toute la population française. Que ces gens assemblés par Emmanuel Macron pour éteindre l’incendie des gilets jaunes aient décidé d’en allumer un autre m’avait stupéfait. D’autant que les ZFE n’ont rien à voir avec le climat, il ne faut pas confondre pollution de l’air des villes et émissions de gaz à effet de serre.
Bref, six ans plus tard, des députés percutent enfin : obliger onze millions de Français à changer de voiture pour pouvoir accéder à la grande ville d’à côté, c’est de la dynamite, bien pire que l’addition des 80 km/h et de la taxe sur le gazole qui avait déclenché l’incendie jaune fluo de 2018.

La fronde des maires de banlieue
Sentant le vent tourner, la ministre des Transports a indiqué vouloir “cibler l’obligation sur les seules agglomérations en dépassement régulier des seuils réglementaires, Paris et Lyon.” On apprend au passage que dans la plupart des grandes villes françaises, celles auxquelles on voulait imposer une ZFE, ces seuils de pollution ne sont pas souvent dépassés.
Suivant le même sens du vent, le Conseil d’État vient d’exonérer, pour 2024, l’État des amendes qu’il lui a infligé en 2021, 2022 et 2023 pour n’avoir pas pris “toutes les mesures nécessaires” pour mettre fin aux dépassements des normes européennes “dans le délai le plus court possible.”
Il faut donc parier qu’en dehors de Paris et de Lyon, très peu de maires de villes de plus de 150 000 habitants planteront les panneaux à leurs portes. Pas tant pour ménager leurs électeurs – qui y sont généralement favorables - mais ceux des autres élus de l’agglomération. À Montpellier, ce sont les maires des communes voisines qui ont, bien avant le vote surprise à l’Assemblée nationale, fait pression sur Michaël Delafosse pour qu’il reporte sa ZFE à 2027. En fait, ce n’est pas la ZFE qu’il a reportée, mais les contraventions… comme partout en France.
Car l’État n’a jamais autorisé la mise en place de la vidéo-verbalisation, autorisation reportée d’année en année depuis 2021, ce qui démontre qu’aucun gouvernement n’a jamais voulu assumer ce dispositif puissamment ségrégatif.

Les ZFE obsolètes
« Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre » cette citation d’Henri Queuille, homme politique des IIIème et IV ème république, pourrait être l’épitaphe des ZFE. Elles n’ont jamais été réellement mises en œuvre en l’absence du moindre contrôle - j’ai vérifié, aucun PV n’a jamais été dressé à ce motif ni même à Paris ou à Lyon – et pourtant, partout en France, la qualité de l’air s’améliore.
D’abord par le renouvellement “naturel” du parc automobile avec les normes Euro mais aussi par la diminution forcée du trafic automobile, comme à Paris où il a été divisé par deux depuis les années 2000. Dans la plupart des grandes villes, il y a aussi l’essor du vélo, du tramway, du télétravail qui fait leur effet. Même Paris et Lyon devraient respecter cette année ou la prochaine les seuils de pollution européens. Avant leur durcissement déjà programmé bien sûr…
Ce qui rend également les ZFE intenables, c’est qu’à leur invention en 2019 avant le Covid, le prix des voitures neuves – et conséquemment, d’occasion – n’avait pas encore flambé. Aujourd’hui, remplacer une Crit’air 5 ou non classée par une Crit’air 1 ou 2 coûte deux à trois fois plus cher qu’alors. Dès lors, comment justifier un coût croissant pour une utilité décroissante ?

La nostalgie du carburateur ?
Si je me réjouis de cet abandon programmé, je n’aimerais pas que la lutte contre la pollution urbaine soit jetée avec l’eau du bain des ZFE.
Je reviens de deux jours passés à Athènes et me dis que là-bas, une ZFE ne serait pas un luxe. Col de chemise noirci, vêtements qui empestent les gaz d’échappement, gorge et nez irrité, yeux qui piquent, je me croyais de retour dans le Paris des années quatre-vingt quand sur l’autoroute retour de vacances, je reniflais la bonne vieille odeur de la capitale à 5 ou 20 km du périphérique selon la direction du vent.
Dans la capitale de la Grèce qui y concentre - et y enfume - la moitié de la population du pays soit cinq millions d’habitants, pas de ZFE et un contrôle technique qui se résume à quatre pneus corrects, un peu de freins et pas trop de fuites. Pour le reste, ça peut fumer tant que ça veut car les Grecs, pas encore bien remis de la terrible crise des années 2010, ont d’autres soucis automobiles à régler, à commencer par l’état déplorable de leurs routes, parmi les plus meurtrières d’Europe.
Dans ce pays appauvri, l’âge moyen du parc automobile est de 17,5 années contre 11,2 en France et je peux vous dire que la différence se sent, au sens propre : j’avais oublié ce qu’est une voiture à carburateur, sans catalyseur, le vrai parfum d’une Opel Kadett, d’une Peugeot 305 ou d’une Ford Escort et ces deux jours m’en ont retiré toute nostalgie.

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