Route de nuit - Le moteur rotatif, une impasse automobile
Développé principalement par l’ingénieur Felix Wankel, le moteur rotatif a fait rêver bien des constructeurs, mais tous y ont renoncé…
Les ingénieurs motoristes ont tous une obsession à l’esprit. Réduire le nombre de pièces en mouvement dans un moteur afin de réduire les frottements et obtenir un meilleur rendement. Mais, parfois, le mieux est l’ennemi du bien.
Ainsi, Aurelio Lampredi, concepteur de certains gros V12 Ferrari, avait-il réalisé un monocylindre surdimensionné, pensant qu’avec le peu d’éléments qui le composaient, il aurait des performances inédites. Las ! Le prototype vibrait tellement qu’il a traversé l’atelier où on le testait !
Plus récemment, Fiat s’est fourvoyé avec le TwinAir, ce bicylindre agréable (encore que les avis divergent) dans de petites autos comme la 500 mais totalement inadapté dans la Punto ou l’Alfa Mito. Et pas plus économique qu’un 3 ou un 4 cylindres…
Cela dit, ce n’est rien face au fiasco du moteur Wankel, du nom de son concepteur. Petit préambule sur ce monsieur. Celui-ci, antisémite jusqu’à la moelle, a adhéré au NSDAP dès 1922. Le parti nazi est interdit après le putsch raté d’Hitler, mais bien vite rétabli, et dès ce moment, Wankel s’y inscrit à nouveau. Il y évolue rapidement, dans la section du länder du Bade (devenu Bade-Wurtemberg en 1951) dont il est originaire. Il s’accroche durement avec son Gauleiter (le président de région en quelque sorte) Robert Wagner.
Celui-ci voulait faire des jeunesse nazies un mouvement très politisé, Wankel souhaitait plutôt leur donner une formation paramilitaire. N’ayant pas gain de cause, Wankel accusa Wagner de corruption, et celui-ci se vengea en l’envoyant en prison en 1933. Il faudra l’intervention de Wilhelm Keppler, conseiller économique d’Hitler en personne pour l’en faire sortir : les deux hommes s’étaient rencontrés en 1927…
Wankel était malgré tout un brillant technicien autodidacte. Dès 1929, âgé de 27 ans, il déposait un brevet de moteur rotatif, qui ne vient, cela dit, pas de nulle part : il s’est largement inspiré d’une pompe à eau rotative inventée par Agostino Ramelli au 16 siècle.
Grâce à Keppler, Wankel obtint des subventions importantes de la part des ministères de l’air et de la marine de l’état nazi, donc put travailler pour résoudre le principal défaut de son moteur : l’étanchéité. Il tenta d’adhérer à nouveau au NSDAP en 1937, mais on l’y refusa. Il pourra tout de même intégrer la SS en 1940 en tant qu’Obersturmbannführer, lieutenant-colonel. Pendant la guerre, il travailla pour Mercedes et BMW, puis fut emprisonné en 1945 par les forces d’occupation françaises. Ceci pour vous poser le personnage…
Il collabore avec NSU dès 1951, qui l’engage en 1957 après avoir utilisé son « invention » en tant que compresseur pour moteur de moto. Il peut poursuivre la mise au point de son rotatif, qui, au départ, voit son rotor et sa chambre tourner. Elle sera fixe sur la version définitive du bloc, présentée en 1960.
L’idée est simple : un piston en forme de triangle tourne de façon excentrique dans une chambre où sont reproduits les quatre temps du cycle Beau de Rochas. Peu de pièces en mouvement (ni bielles ni distribution ni vilebrequin), pas de mouvement alternatif, grande compacité, légèreté. Beaucoup de constructeurs sont séduits et achètent la licence : Mercedes, Mazda, Citroën, GM...
Chez Fiat, on l’étudie de près, mais on y renonce face à ses défauts. En effet, l’étanchéité interne demeure insuffisante au niveau de la pointe du rotor. De plus, la chambre de combustion ne peut adopter une forme réellement performante. Enfin, la dilatation de ses composants, en aluminium, est, elle aussi, une source de fuites.
NSU et Citroën forment la Comotor, qui produit ce bloc pour la NSU Ro80 puis la GS Birotor : ce seront deux échecs commerciaux qui entraineront la faillite du premier et participeront à celle du second.
En effet, les voitures qui s’en équipent souffrent toutes des mêmes défauts : elles se révèlent gourmandes en essence… et en huile. Pire, elles manquent totalement de fiabilité, les moteurs Wankel rendant souvent l’âme avant 40 000 km.
Petite anecdote, quand ils se croisaient sur la route, les conducteurs de NSU Ro80 se faisaient un signe particulier avec leurs doigts : ils indiquaient un chiffre. Celui du nombre de fois où ils avaient changé de moteur…
Mercedes renonce à commercialiser le Wankel, tout comme Citroën qui l’envisageait pour la CX, d’autant que la crise pétrolière éclate en 1973, et seul Mazda s’entête, principalement pour des questions d’image.
Il parvient à une sorte de fiabilité, son rotatif passant parfois les 100 000 km. Mais ne résout pas sa consommation excessive, de sorte que contraint de réduire ses émissions de CO2, il doit y renoncer en 2012, du moins en tant que motorisation principale.
En fait, le moteur Wankel n’est intéressant que dans des applications où il tourne à régime constant : son manque d’étanchéité s’en trouve amoindri, tandis que sa légèreté et sa compacité font merveille. On l’a ainsi retrouvé en aéronautique, en marine, et dans des tondeuses… Tout ça pour ça !
Pour sa part, le bon Dr Wankel a terminé sa vie en 1988, sans descendance mais très engagé dans la défense des animaux. Antisémitisme, extrême-droite et amour des bêtes… Ça me rappelle quelqu’un, mais qui ?
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