Rêve d'arsouille ou arsouille rêvée !?
Cinq heures moins dix – voilà, l'heure est venue pour moi de prendre le dernier relais du team. Nous sommes seconds de la course d'endurance et l'équipe de tête est là, à un peu moins d'une minute devant nous. Je tourne, je vire, la couette me gène... au plus profond de moi, les envolées de mon twin, réglé au petits oignons pour l'occasion, se font de plus en plus présentes et jouissives. Quatrième, cinquième, sixième… 10500 tours, l'aiguille du compte tours s'affole. Rupteur. Taquet fond de six. Que c'est bon !!
Mes mains et mes pieds sont aux aguets. Chacun de mes sens sont en éveil. Je reviens sur eux. Petit à petit, je grignote du terrain. Mètre après mètre. Ils sont là... seulement une longue ligne droite nous sépare. Il est temps de sa cracher dans les gants et de sortir le grand jeu. On me l'a assez rabâché : « la seconde place, c'est la première des perdants !! ». Et être second, ce n'est pas moi, cela ne me ressemble pas.
Ma main droite prend le traversin fermement, freinage de trappeur du bout de la ligne droite, le virage me saute au visage. Mon pied gauche entre aussi en action pour rentrer trois rapports. Je m'agite sous la couette. Le frein moteur de ma petite pistarde fait osciller l'arrière en entrée de courbe. Je suis à la limite et plonge avec hargne dans ce virage à droite...
Je longe pleine balle le vibreur multicolore qui est à quelques centimètres de mon coude. Je tiens la corde le plus longtemps possible. Les changements rapides de couleur du vibreur attaquent ma rétine. Mon genoux est, lui aussi, en train d'effleurer la moquette. Les imperfections du revêtement me donnent des fourmis dans les genoux et cela remonte le long de la cuisse et dans la fesse...
Il est là, tout proche à quelques tours de roues. Le virage s'ouvre. Gaz en grand, mon souffle se coupe. La dérive du train arrière se fait sentir, l'avant se déleste et la moto se cabre légèrement. C'est trop bon, le pneu travaille et m'offre un feeling étonnant en cette fin de relais. L'oreiller me dérange, je le mets à terre. Interdiction de faire la lopette et de couper les gaz sous peine de s'en coller une belle. On mettre les sports de raquette à plus tard… Il est enfin là, à quelques dixièmes de seconde de moi. La première place n'a jamais été aussi proche et accessible.
Je transpire, mon cœur cogne comme s'il désirait qu'une chose... sortir de cette cage, aussi thoracique soit elle. La fin de ma nuit devient plus qu'agitée. Inter', exter', le prendre au freinage, à l'accel'... ma mâchoire se crispe. Mes maxillaires n'en peuvent plus... Le souffle devient de plus en plus rapide.
Je serre à pleine main le matelas, le moment est venu. C'est maintenant ou jamais qu'il faut le prendre et se le faire. Je me positionne sur l'extérieur. Il me sent pressant et ne ferme pas la porte. Je me faufile alors dans le trou de souris qu'il me laisse et passe, le genou contre la moquette à la limite de perdre l'avant. Me voilà premier et surtout prêt à offrir à mon équipe cette victoire tant attendue pour ce dernier tour de course...
Les pneus sont rincés, ils n'en peuvent plus. Les “tic tac” de l'horloge résonnent en moi comme pour me dire que la fin est proche. La pression en cette fin de course est à son paroxysme. Mes sens n'ont jamais été aussi en éveil. La couette ne me couvre plus... je frissonne. Les derniers virages décisifs en cette fin de course stressante arrivent très vite, top vite. Ca passe tant bien que mal mais les sensations qui remontent de la moto ne sont plus si saines. La fatigue de cette lutte acharnée se ressent de plus en plus. Les muscles me brulent et se tétanisent. Ouf, limite mais ca passe. Il revient, sa présence est oppressante.
Dernier grand bout de droit avant l'ultime virage rapide et enfin l'arrivée victorieuse puis le drapeau à damiers. Ma main se crispe sur la couette jetée au pied du lit. Je mets la poignée en coin. Mon poignet droit se soude. Il se bloque. Je saute alors sur les freins mais la fatigue aidant je me rate et tire alors tout droit. La chute est alors inévitable. Je tombe du lit et frotte longuement la moquette irritante et brulante. J'ai l'image de ma moto qui se disloque dans un barouf' étourdissant... je suis tout tremblant, avec les mains moites et le cœur tambourinant dans ma poitrine agitée par ce souffle qui persiste.
Je me relève tant bien que mal de cette moquette, descend quatre à quatre les escaliers pour me retrouver au sous sol, dans le garage. Elle est bien là, tout aussi belle que la veille, sur sa latérale…
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération