L’Airbus de la batterie n’a-t-il pas déjà raté l’avion ?
Le consortium européen de la batterie a été acté la semaine passé. Mais ce futur géant destiné à enrayer le monopole asiatique sur le cœur des voitures électriques ne démarre-t-il pas après la bataille ? De nombreux éléments tendraient à le démontrer, même si, rien ne prédestinait l'Airbus des airs à la réussite qu’on lui connaît.
Bruno le Maire et Peter Altmaier sont contents. Jeudi dernier, les ministres français et allemands de l’économie ont porté sur les fonts baptismaux leur nouveau bébé : l’Airbus de la batterie. Le consortium européen destiné à contrecarrer le quasi-monopole chinois et coréen sur le cœur des voitures électriques est donc enfin sur la piste de décollage. Avec un joli cadeau de naissance : 5 à 6 milliards d’euros destinés à produire les premières batteries d’ici 2024-2025, le temps que les ingénieurs de recherche et développement cherchent et développent. Sur cette jolie somme, 1,2 milliard est injecté par l’Union européenne pour amorcer la pompe et le reste doit être fourni par les constructeurs et équipementiers français et allemands, principaux pays européens de l’industrie automobile, n’en déplaise à nos amis italiens.
Des batteries qui vont rater la déferlante des voitures électriques
Pourtant, on est en droit de se demander si l’initiative franco-allemande n’arrive pas un poil trop tard. Et ce pour de multiples raisons. L’offensive de la voiture électrique ne va pas attendre que l’Airbus de la batterie soit sur orbite. Les premiers modèles (Jaguar I-Pace, Audi e-tron, Peugeot e-208) sont sur leur rampe de lancement ou déjà lancés. Quant à l’armada Volkswagen, à la Polestar One, ou la DS Crossback e-tense, elles vont commencer à déferler à partir de la fin de cette année et l’an prochain.
Tout nouveau modèle aura, dès dorénavant, et chez de nombreuses marques, sa version à watts. Et tous disposeront de batteries asiatiques puisque développées et commercialisées avant la livraison des modèles européens. Du coup, les premières batteries bien de chez nous apparaîtront bien après le début de la bataille. Quant à leurs remplaçantes, et aux nouvelles autos électriques disponibles entre 2023 et 2025, elles seront mises en chantier dès 2020 ou 2021, soit trois ans avant leur mise en production, au minimum. Nos batteries européennes vont donc louper deux générations d’autos zéros émissions.
Le lithium restera aux mains des chinois
Reste à savoir quel type de batteries va sortir du ventre du fameux Airbus. Des modèles à lithium Ion ? Un minerai dont les Chinois contrôlent la production, et surtout la commercialisation. Difficile dans ce cas d’échapper à l’emprise asiatique qui risque de faire payer à ses concurrents le prix fort pour cet ingrédient indispensable. Mais il est évidemment trop tôt pour savoir vers quelle technologie vont s’orienter les recherches européennes. Vont-elles délaisser le lithium pour d’autres solutions tels que le graphème et l’électrolyte solide ? Des recherches, notamment canadiennes, sont en cours dans ce domaine. Mais les Chinois, qui ne sont pas moins conscients des limites du lithium que le reste de la planète, tentent eux aussi de lancer de nouvelles pistes. Et ont déjà signé des contrats d’exploitation de ces batteries du troisième type avec les chercheurs canadiens en question. C’est donc une course à l’innovation qui va s’engager. Et l’empire du milieu a quelques longueurs d’avance dans le domaine.
Pas de consensus autour de l’Airbus
Pour qu’un tel barnum fonctionne, encore faut-il que tous les partis soient de la partie. Ce qui n’est pas acquis. L’Union européenne a promis de dégager 1,2 milliard, principalement et logiquement payé par la France et l’Allemagne, fiefs de l’auto du vieux continent. Mais pour les quelques millions restant, il faudra convaincre des pays qui, s’ils hébergent des usines de productions, n’ont pas forcément autant d’intérêt pour la chose que nos deux contrées. D’autant que l’usine pilote sera implantée chez nous, avec 200 emplois à la clé, suivies de deux unités de fabrication en France et de l’autre côté du Rhin, avec des effectifs de 3000 personnes. Ensuite, il faudra réunir les quelque 4 milliards restant, et qui doivent provenir de fonds privés. Pour le moment, 35 industriels se disent intéressés, dont Opel, envoyée dans ce club fermé par sa maison mère PSA.
Qu’en est-il de Renault, déjà bien engagé dans l’électrique de son côté ? Quant à Nissan dont la Leaf reste l’électrique la plus vendue au monde, aucune décision ne saurait plus être prise en France le concernant, depuis l’affaire Carlos Ghosn. Et qu’en est-il des constructeurs allemands très impliqués aussi ? Pas de réponse pour l’instant, mais le tour de table ne sera pas divulgué avant le mois d’octobre. Reste que d’ores et déjà, les équipementiers allemands Bosch et ContiTech se sont opposés au projet, arguant du fait qu’ils ont déjà beaucoup investi dans le domaine et ce depuis des années. Et qu’ils n’ont pas forcément envie de partager leurs travaux. On le voit, les vents contraires soufflant contre l’Airbus de la batterie sont nombreux. Mais comme le rappelait Bruno Le Maire la semaine passée, « Quand nous avons lancé Airbus, personne ne savait si nous allions faire de meilleurs avions que Boeing ». En espérant que le consortium de la batterie ne connaisse pas le destin de l’A380.
Déposer un commentaire
Alerte de modération
Alerte de modération