Jacques Borel : du restoroute à Tricatel
L'aire d'autoroute, et son inévitable et peu fameux resto, participe du symbole des vacances. Cette réputation de piètre gastronomie est liée à un homme devenu le chantre de la malbouffe en France. Le cinéma s'en est emparé, avec l'Aile ou la cuisse et son fameux méchant Jacques Tricatel et bien plus tard, ce nom qui est aussi devenu celui d'un label de musique, qui a, notamment, produit Michel Houellebecq.
C'est un drôle de zig, comme on disait dans un temps que les moins de vingt ans, ou même de cinquante, ne sauraient pas connaître. Ce zig s'appelle Jacques Borel et il a symbolisé, au cours des années 60 et 70 la malbouffe à la française, bien avant McDo et Burger King. Mais Borel est aussi, et surtout, celui qui a inventé le restoroute, cette oasis de frites sur la route des congés payés.
Nous sommes dans les années 60, et un jeune cadre dynamique diplômé d'HEC comme il se doit et salarié d'IBM comme il se doit aussi a une idée révolutionnaire pour l'époque : fabriquer et vendre des hamburgers en France. Borel s'acoquine alors avec la chaîne britannique Wimpy et lance, en plein Paris, le premier fast-food, très justement baptisé "le café de l'an 2000". Mais l'affaire tourne court. Borel est un homme pressé, trop pressé pour sa maison mère, et c'est la rupture. Pas grave, il est déjà ailleurs. Sur l'autoroute.
On est en 1969, et l'homme veut importer en France une autre lubie étrangère : le resto pont. Sa motivation n'est pas vraiment architecturale. Il a remarqué que sur les autoroutes italiennes, ce système permettait de capter la clientèle venant des deux côtés de l'autostrada. Banco, la société nationale des autoroutes (elles n'étaient pas encore privatisées) donne son accord et le premier pont Jacques Borel s'étend au-dessus de l'A6 en Bourgogne. Le succès est immédiat. Un self, quatre plats (dont le fameux jambon braisé que l'on retrouve toujours sur les aires) et l'affaire est lancée. Et elle cartonne.
Borel n'a aucune concurrence. Conséquence : le nombreux de repas servis, au nombre de 400 dans un resto traditionnel, passe à 6 000 par jour. Les restos Jacques Borel font des petits, tout comme les finances de son fondateur. Rapidement, il devient la cible des chefs cuisiniers : il est le chantre du mal manger de ces années-là et le réalisateur Claude Zidi ne perd pas une miette de la polémique. Alors, il décide en 1973 de caricaturer l'affaire dans son nouveau film qui sortira un an plus tard. Dans l'Aile ou la cuisse, Louis de Funès est le gentil critique gastronomique à l'ancienne, et l'impeccable Julien Guiomar incarne le très méchant Jacques Tricatel, le Borel de fiction.
Le méchant perd la bataille et, dans la vraie vie, le vrai Jacques Borel va lui aussi perdre son empire. Il est écarté par les actionnaires de son entreprise au cours d'un putsch qui donnera naissance au très puissant groupe Accor. Mais son nom restera associé à tout jamais aux trente glorieuses, aux départs en vacances, aux voitures surchargées, et aux gamins assis à l'arrière et protégés du soleil par une serviette de plage coincée dans la vitre remontée.
De Jacques Borel à Michel Houellebecq
Cette nostalgie de Borel inspirera également l'auteur-compositeur Bertrand Burgalat au moment de fonder son propre label de musique en 1995. Il le baptise tout naturellement Tricatel en hommage à une époque révolue. A son catalogue figure quelques artistes assez improbables qui ne s'imaginaient pas vraiment musiciens, puisque Tricatel a produit l'album Présence humaine de Michel Houellebecq et le très curieux Goûte mes frites de Valérie Lemercier. Il est aujourd'hui le puissant président du SNEP (syndicat national des éditions phonographiques). La malbouffe mène à tout.
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