Tesla malade d’Elon Musk
Quand Elon Musk tousse, Tesla s’enrhume. Et sa fièvre contamine l’industrie automobile qui se prend à douter de la voiture électrique. Où en est le génie d’Austin ? Mais surtout, a-t-on besoin d’un messie de la watture ?
Pendant des années, il a été l’oracle de l’automobile, le grand-prêtre de la voiture électrique. Les agences de notation buvaient ses promesses, la presse applaudissait ses annonces, les banquiers remettaient des chèques au pot, l’actionnaire se régalait des records en bourse, et l’acheteur… achetait et en prime militait pour sa marque.
Elon Musk pouvait tout promettre, tout se permettre, rien ne semblait pouvoir affecter la course en avant de Tesla, ni ses outrances d’enfant gâté, ni ses mensonges éhontés, ni ses promesses pas souvent tenues – ou très en retard.
Il semble que ce temps soit révolu et que le petit prince de la technologie ait perdu sa baguette de magicien. Un vent mauvais souffle sur Tesla, les ventes sont en baisse, l’action chute tandis que son iconique patron semble davantage subir le cours des événements qu’être encore en mesure de le dicter.
Et de même que les succès du constructeur rejaillissaient sur la popularité de la voiture électrique, sa baisse de régime en ternit aujourd’hui les perspectives. On ne compte plus les patrons qui revoient les prévisions à la baisse, reportent à des lancements ou expriment leurs doutes. Comme si la firme au T courbé était devenue le baromètre de l’industrie automobile et Elon Musk son indispensable messie.
Le marché européen du VE baisse en ce début d’année ? Plutôt que d’y voir la conséquence temporaire de la fin du bonus en Allemagne, son principal marché, les analystes y voient le signe du désintérêt du client, de l’impossibilité de l’électrification du parc et de l’urgence de renégocier l’obligation de vendre 100 % de VE en 2035.
Le marché français de la watture, à rebours de tous les autres sur le vieux continent, augmente au premier trimestre ? On ne voit pas cette hausse comme un signe de sa bonne santé, mais la simple conséquence de l’anticipation de la baisse du bonus et du boom éphémère - puisque contingenté - de la voiture à 100 €/mois. À en croire les experts, ça ne va pas durer et forcément, les ventes de VE vont forcément, chez nous aussi, plonger. Alors que c’est précisément l’inverse qui se profile avec le succès prévisible des Citroën ë-C3 puis Renault 5 E-Tech, les premières électriques à être, sinon abordables, du moins compétitives avec les thermiques équivalentes.
Rien n’y fait, le pessimisme domine. Comme si les déboires de Tesla avaient contaminé la vision de l’avenir.
Quand Elon déconne
Concernant Tesla, relativisons. Les ventes se tassent et l’action baisse, mais pour l’heure, le constructeur reste -très - profitable et si le chinois BYD le talonne, l’Américain reste n°1 des ventes de VE et surtout, dicte les prix comme les standards techniques jusqu’en Chine.
Ce qui va vraiment mal chez Tesla, c’est son patron.
Car Elon déconne. Passons sur ses délires libertariens et son tropisme trumpiste qu’il exprime de façon de plus en plus débraillée sur X, ex-Twitter, son réseau social qu’il a payé une fortune pour le transformé en carrefour du complotisme. Il ne serait pas le premier capitaine d’industrie à fermenter du melon et à se rêver tycoon des médias et/ou de la politique tout en gérant normalement son entreprise, « ses » entreprises en ce qui le concerne. Après tout, Ferdinand Piech n’était ni un grand progressiste ni un pur humaniste mais ça n’a pas empêché cet immense ingénieur de faire d’Audi un constructeur d’avant-garde à la réputation pur chrome.
Ce qui inquiète davantage, c’est la vision du produit. Ou plutôt sans doute, l’absence de vision. Alors que le marché et les financiers attendent impatiemment la petite Tesla 2 qui ferait redécoller les ventes et hisserait Tesla dans la cour des grands, non plus seulement par sa capitalisation, mais par ses immatriculations, Musk élude, à son habitude.
Plus précisément, il divertit le public en évoquant un futur Roadster (attendu impatiemment lui aussi) qui sera – ou plutôt serait - boosté par fusée pour taper le 0 à 100 km/h dans la seconde. Une électrique à roquette, thermique forcément, ça ne divertit pas, ça diverge de la voiture électrique… Comme si l’homme avait perdu ses convictions.
Au fait, où est la conviction environnementale dans le Cyber truck, ce pick-up tout inox de trois tonnes à l’épreuve des balles… des flèches, qui aurait dû demeurer un prototype de foire mais est devenu, par la volonté du boss, un bide industriel et commercial qui plombe les comptes et la réputation. À l’inverse, le plus réaliste et très attendu Tesla Semi, le camion électrique présenté en 2017 n’a toujours pas d’usine en vue pour le construire. Et celle, mexicaine, de la Tesla 2 tarde à sortir de terre.
Ce qu’Elon veut, certes Dieu le veut, mais les analystes et les investisseurs n’y croient plus et commencent à réclamer, sinon un changement de main au gouvernail, au moins un changement de cap et un retour aux fondamentaux : des voitures qui innovent plutôt que des annonces qui épatent.
Une gamme vieillissante
Un changement qui devient urgent car Tesla est en train de perdre son plus gros capital : son image de constructeur d’avant-garde.
Ses modèles vieillissants – douze ans pour la Model S, sept pour la Model 3 - voient leurs performances et leurs prestations égalées par la concurrence. Une Tesla 3 ou Y n’est pas démodée mais n’a plus une longueur d’avance. Et surtout, encours le risque de la banalisation : dans les grandes villes, on ne voit plus qu’elles. De même, le réseau de charge dédié et ultra-performant n’est plus un atout décisif avec la multiplication des bornes rapides sur les grands axes. Il devient même un inconvénient si l’on considère son implantation bigarrée, souvent à l’écart des grands axes, dans d’improbables zones commerciales ou artisanales.
Quant à l’Autopilot, non seulement il n’a pas tenu ses promesses de conduite autonome mais en plus ses mortels ratés l’ont fait mettre sous étroite surveillance. Pire, certains de ses concurrents allemands le dépassent désormais en efficacité comme en facilité.
Il y a aussi des erreurs de conception majeures comme le giga casting qui consiste, à emboutir la partie basse de la coque en deux ou trois éléments au lieu des 50 à 80 qu’il faut habituellement souder ou boulonner les uns aux autres. Une prouesse technique permise par des presses géantes - et hors de prix - qui permet de limiter considérablement les coûts d’assemblage et qui serait le secret de la brutale baisse des tarifs des Model Y l’an passé. Mais avec l’inconvénient de rendre la voiture beaucoup plus chère à réparer en cas de choc important, voire irréparable quand il faut remplacer tout le soubassement avant ou arrière. Un vilain défaut dont commencent à se plaindre les assureurs et qui devrait valoir des primes salées aux propriétaires des modèles concernés.
Sans parler de la valeur à la revente, nouveau défi à relever : qui veut d’une voiture qui part à la casse au moindre accident ?
Cette grosse économie de conception porte aussi atteinte au bien-fondé environnemental du VE à l’heure où l’on n’a plus que durabilité et réparabilité à la bouche.
Preston Tucker ou André Citroën ?
« La prévision est un art difficile, surtout concernant l’avenir » disait Pierre Dac. Je ne me risquerai donc pas à prédire le futur de Tesla, trop l’ont fait à leurs dépens, mais il est clair que l’entreprise est à un tournant.
Elon Musk n’aura pas été le Preston Tucker du XXIème siècle, destin qu’on lui promettait il n’y a pas si longtemps. Il a déjà produit 5 millions d’exemplaires quand Tucker s’est arrêté à une cinquantaine avant la ruine.
Mais, dans la galerie des entrepreneurs géniaux et faillis, il pourrait être le André Citroën du nouveau siècle, son entreprise sauvée par Michelin puis revendue à Peugeot.
Tesla ne disparaîtra pas, mais Elon Musk pourrait perdre le contrôle de son entreprise ou bien celle-ci se faire croquer par plus malin que lui. C’est davantage la bourse que Musk ou ses ingénieurs ou même ses clients qui auront le dernier mot, mais Tesla y survivra et cela n’obérera pas l’avenir de la voiture électrique qui carbure désormais plus à la raison économique qu’à la passion écologique.
Effectivement, celle-ci ne représentera pas 100 % des ventes en Europe en 2035, mais pèsera une part essentielle et sans doute majoritaire du marché, le client en décidera en fonction de ses intérêts. Maintenant qu’elles tutoient les prix des thermiques équivalentes (et réciproquement…), qu’elles offrent plus de 300 ou 400 km d’autonomie et se rechargent en 20 minutes un peu partout, l’argument d’une consommation de 3 € aux cent kilomètres va peser de plus en plus lourd.
Une anecdote pour conclure : vendredi dernier, sur l’autoroute du Sud, j’ai poireauté 15 minutes à une station-service pour faire le plein, c’était la foule des grands jours.
À côté, une douzaine de bornes de recharge où seulement trois voitures – dont une Tesla – étaient branchées.
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