Stellantis et Renault: "le marché pourrait être divisé par deux en l’espace d’une décennie"
L'INFO DU JOUR. Dans une interview croisée accordée au Figaro, les patrons des groupes Renault et Stellantis plaident pour une simplification des règles du marché européen, seul moyen selon eux de renouer avec une automobile "populaire". Si rien n’est fait, ils redoutent à l’inverse une division de moitié du marché européen à l’horizon 2035.

C’est un joli coup journalistique que signe Le Figaro en publiant cette interview croisée des patrons des groupes Renault et Stellantis, Luca de Meo et John Elkann. Et sans grande surprise, les deux Italiens s’accordent sur la nécessité d’adaptation de la politique européenne, seul moyen selon eux de revenir à des voitures populaires et de sauver l’industrie automobile sur le Vieux continent.
Rappelons en effet que seulement 15 millions de véhicules ont été écoulés en Europe (EU27 + Royaume-Uni et Suisse) l’an dernier, soit 3 millions de moins qu’en 2019. "Au rythme actuel, le marché pourrait être plus que divisé par deux en l’espace d’une décennie." redoute Luca de Meo, qui reconnaît le caractère prohibitif du coût des voitures...tout en se dédouanant: "Les règles européennes font que nos voitures sont toujours plus complexes, toujours plus lourdes, toujours plus chères, et que les gens, pour la plupart, ne peuvent tout simplement plus se les payer."
Il est vrai que Renault vient justement d’abaisser le prix de sa Clio 65 ch, dont la gamme démarre à 16 900 €, soit près de 3 000 € de moins que précédemment (comme quoi c’était possible !). "Entre 2015 et 2030, le coût d’une Clio aura augmenté de 40 %. Cette augmentation est à 92,5 % attribuable à la réglementation", affirme le patron de Renault. En cause, des voitures toujours plus imposantes, plus équipées pour plus de confort et de sécurité, et plus généreusement motorisées de façon à compenser le surpoids. Un cercle vicieux, qui a contribué à éloigner les voitures populaires de leur cœur de cible. À Bruxelles, "ils ont compris que les réglementations ont eu pour effet d’assécher le marché", résume John Elkann. "Aujourd’hui, il doit y avoir au moins cinq directions générales qui s’occupent d’automobile, et parfois elles ont des stratégies contradictoires. Quand l’une exige la suppression des Pfas, les polluants éternels, ce qui est légitime, l’autre nous demande des voitures à batterie. Or, il n’y a pas de batteries sans Pfas" complète Luca de Meo.
Et celui-ci d’embrayer sur les exigences de sécurité : "Ce que nous demandons, c’est une réglementation différenciée pour les petites voitures, il y a trop de règles conçues pour des voitures plus grosses et plus chères, ce qui ne nous permet pas de faire des petites voitures dans des conditions acceptables de rentabilité. Ce n’est pas possible de traiter une voiture de 3,80 mètres comme une voiture de 5,5 mètres ! Le surcoût est le même sur une petite voiture que sur une grosse berline. Cela grignote une bonne partie de la marge de la petite voiture. Et cela va continuer. […] Dans les crash-tests, "ma R5 doit réagir comme une berline haut de gamme dont le capot est trois fois plus long lors d’un choc frontal. C’est de la physique. Je suis censé faire un capot en tungstène ?"
"Rouler tous les jours dans un véhicule électrique qui pèse 2,5 tonnes est un contre-sens écologique" Luca de Meo

Le patron de Renault plaide depuis longtemps pour que l’Europe s’inspire des "kei cars", ces micro-citadines à l’habitabilité exemplaire malgré leurs 3,40 m. de long et qui pullulent au Japon. Dans une lettre ouverte qu’il avait publiée l’an dernier au titre de président de l’ACEA (Association des constructeurs automobiles européens), et dont Caradisiac s’était fait l’écho, il résumait les choses ainsi : "En vingt ans le prix moyen des citadines a bondi de 10 000 à 25 000 euros. Et le budget annuel des consommateurs mobilisé pour leur mobilité personnelle (essence, entretien, assurance et taxes) a flambé de 3 500 euros à 10 000 euros. Comme dans le même temps, le salaire moyen n’a progressé que de 37%, les classes moyennes se détournent de la voiture. En Europe, les ventes ont chuté de 13 millions d’unités en 2019 à 9,5 millions en 2023", rappellait ainsi Luca de Meo. "C’est un fait : rouler tous les jours dans un véhicule électrique qui pèse 2,5 tonnes est un contre-sens écologique. Le problème c’est que les réglementations européennes (sécurité, émissions…) ont impacté négativement la profitabilité du segment des petites voitures. Leurs ventes ont baissé de 40% en vingt ans. La solution c’est de s’inspirer du concept des "kei cars", les citadines japonaises. De sa naissance à la casse, une petite voiture a un impact environnemental inférieur de 75%. Elle peut être vendue 50 % moins cher qu’un modèle de milieu de gamme. Avec un arsenal de mesures très peu coûteuses, on peut inverser rapidement la tendance : leasing sociaux, places de parking gratuites, prix préférentiels de recharge, taux d’intérêt plus bas pour les crédits, incitations pour les jeunes acheteurs, etc."
"Le marché n’achète pas ce que l’Europe veut que nous lui vendions" John Elkann
Moins réglementer permettrait aussi de simplifier l’offre : "Avant, pour choisir une voiture, c’était simple. Celui qui roulait 25 000 km par an prenait un diesel, celui qui en faisait 10.000 prenait une essence. Facile. Aujourd’hui, il faut faire tourner un algorithme avec 18 critères !" Difficile de donner tort à de Meo sur ce point, avec des voitures électriques trop onéreuses pour avoir le moindre impact écologique, tout en présentant l’inconvénient de complexifier la donne. Or, "le saut entre la norme Euro3 et la norme Euro6 pour les voitures thermiques a fait plus pour le climat que celui d’Euro6 à la voiture électrique", affirme John Elkann. "Parce qu’il faut être clair, le marché n’achète pas ce que l’Europe veut que nous lui vendions. Remplacer la totalité des volumes actuels par de l’électrique, dans ces conditions, nous n’y arriverons pas", explique de Meo dans Le Figaro, pointant au passage l’incohérence de l’électrification sur les utilitaires : "En version électrique, la batterie “mange” une grosse part de la charge utile ! C’est absurde."
Les deux patrons plaident donc pour un retour de la voiture populaire, simple, fabriquée en Europe, et pour la renaissance de laquelle doivent être impliquées France, Italie, et Espagne. John Elkann : "Ces trois pays sont les plus concernés, leurs populations sont les acheteurs de ces voitures dont les prix ont augmenté, et en sont aussi les producteurs. Et ils pèsent ensemble plus que l’Allemagne en termes de production. Il est important que ces pays fassent de la promotion de leur industrie une priorité." Et les deux grands patrons de terminer sur un certain optimisme malgré tout: "s’il y a une mobilisation autour d’un choix politique clair, si nous recréons un marché et des volumes, nous sommes l’un et l’autre convaincus que nous pourrons continuer à produire en Europe, y compris en Europe de l’Ouest." Sinon, la Chine est déjà en embuscade.
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