DESIGNERbyBELLU - Gaston Juchet, le talent discret
Aujourd’hui, les designers ont le verbe haut, le geste ample, la parure avantageuse. En d’autres temps, le talent s’exerçait avec beaucoup plus de discrétion. Pour preuve Gaston Juchet, qui a géré le Centre Style de Renault à un moment déterminant.
Gaston Juchet a joué un rôle déterminant dans la transformation de l’identité esthétique de la firme Renault. Il en fut le responsable du style pendant deux époques charnières : de 1963 à 1975, puis à nouveau de 1984 à 1987.
Ancien élève de l’École Centrale, Gaston Juchet avait travaillé chez Nord-Aviation avant d’entrer chez Renault en 1958 pour travailler sur les études aérodynamiques. Il était alors âgé de 28 ans. Avec sa formation scientifique et son expérience dans l’univers de l’aéronautique, rien ne le prédestinait à prendre les rênes du département le plus « artistique » de l’entreprise. L’aérodynamique a donc fait, dans la carrière de Gaston Juchet, le trait d’union entre les rigueurs de la science et la liberté de la création artistique.
Malgré son éducation scientifique, Gaston Juchet révèle rapidement des aptitudes artistiques remarquables. C’est un habile illustrateur qui parvient à exprimer ses idées à travers des gouaches réalistes et vigoureuses. Au cours de ses premières années passées chez Renault, il se rapproche de Philippe Charbonneaux, styliste indépendant qui est venu apporter un souffle nouveau chez le constructeur. Car jusqu’à la fin des années 1950, il n’existait dans la maison qu’un petit département « carrosseries » placé sous la responsabilité de Robert Barthaud et constitué de deux stylistes seulement.
Renault n’était pas seul dans ce cas. À cette époque, en Europe, le style, que l’on ne nommait pas encore « design », était une discipline jugée secondaire et frivole. Les stylistes travaillaient sous l’autorité frustrante des ingénieurs. Ce sont les Américains qui les premiers ont donné au design ses lettres de noblesse et développé d’importantes équipes de créateurs. En France, il fallut attendre les années 1950 pour voir se développer des studios de style dignes de ce qui existait outre-Atlantique. Le premier centre fut créé chez Simca.
En 1960, Gaston Juchet est devenu l’adjoint de Philippe Charbonneaux qui avait créé un bureau de style embryonnaire chez Renault. Trois ans plus tard, Philippe Charbonneaux reprit son indépendance et Gaston Juchet mit en place un véritable Centre Style à Rueil-Malmaison. Progressivement, l’équipe se renforça et s’organisa. Gaston Juchet engagea de nombreux stylistes qui allaient pouvoir exprimer leur talent grâce à l’élargissement de la gamme. Sous son autorité, Renault développa de nombreux projets qui ont marqué l’évolution des produits sur le plan stylistique comme sur le plan conceptuel : la R12 et son profil cunéiforme, les coupés 15 et 17 avec leurs pare-chocs ceignant la calandre, l’espiègle Renault 5 (1972), caractérisée par ses boucliers en matière synthétique, la 14 (1976), mal aimée en son temps mais dont la modernité est aujourd’hui avérée.
De 1975 à 1984, le Centre Style Renault fut réorganisé et placé sous la responsabilité de Robert Opron. Il fut alors partagé en deux équipes : style avancé confié à Jacques Nocher, et style appliqué dirigé par Gaston Juchet. D’importantes créations furent encore produites par l’équipe de Rueil-Malmaison avec la Rodéo (1981), voiture de loisir minimaliste, ou encore la superbe berline 25, aérodynamique et confortable (1983).
Gaston Juchet travaillait avec des jeunes stylistes bourrés de talent : Michel Velay ou Michel Jardin. C’est à cette époque que beaucoup de designers étrangers furent consultés. Marcello Gandini réalisa la deuxième génération de la Renault 5, Giorgetto Giugiaro signa la 21 et la 19. Robert Opron a aussi travaillé avec beaucoup de designers dont la renommée dépassait le cadre de l’automobile : des gens comme Mario Bellini, Terence Conran ou Olivier Mourgue.
De retour à la direction du studio de style, en 1984, Gaston Juchet paracheva son œuvre en lançant l’étude de la Twingo, avant de céder sa place à Patrick le Quément à la fin de l’année 1987.
Tout en s’imposant comme le véritable patron d’une équipe, Gaston Juchet est toujours resté très proche de la création. Ne se contentant pas d’animer ladite équipe, de gérer une petite entreprise, Gaston Juchet n’a jamais cessé de dessiner, peindre, inventer des formes.
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