Bucciali, cette marque française d’ultra-luxe inconnue
Entre haute technologie et élégance suprême, Bucciali a rivalisé avec Bugatti, Hispano-Suiza ou Rolls-Royce dans les années 20 et 30, mais sans vendre plus d’une dizaine de voitures car là n’était sans doute pas le but.

Ado, je lisais un magazine haut de gamme mais fait de bric et de broc : AutoChromes Collection. Fort cher (48 F en 1987, soit près de 15 € actuels), ce trimestriel présentait sur un beau papier des voitures d’exception, de la supercar type Ferrari 288 GTO à l’engin improbable comme le kit-car Nova Sterling.
J’y ai découvert bien des splendeurs, dont l’incroyable Bucciali TAV 30, du moins une évocation utilisant une mécanique moderne. Son design m’a littéralement sidéré : ligne surbaissée telle celle d’un hot-rod, jantes immenses, proportions parfaites… Elle était française, aussi impressionnante qu’une Bugatti Royale (enfin presque) et totalement inconnue, du moins de moi. L’article stipulait qu’il n’en existait plus d’authentique, ce qui ajoutait à son mystère… Et son attrait ! Mais quelle est cette marque disparue ?

Les Buc, sophistiquées mais confidentielles
Elle est créée en 1922 par les frères Angelo et Paul-Albert Bucciali qui commencent par les Buc (le surnom du second), ambitieuses techniquement mais au succès commercial insuffisant. Il vendront une centaines d'autos jusqu'en 1925. Des engins reservés à des gens aisés, mais pas élitistes. En conséquence, on se demande comment ils en sont arrivés à la sculpturale TAV 30 : en visant le très haut de gamme, avec pour arguments le style et la technologie. Les frères font développer une spécificité alors très peu connue : la transmission par les roues avant, d’où le nom de la future série de Bucciali, les TAV, pour Traction AVant.

Elle débute en 1926, avec un modèle ultramoderne doté de quatre roues indépendantes, mais pas au point. Suit en 1928 la TAV 6, à moteur 6 cylindres, signalée par ces roues de 1 m de diamètre, élément qui distinguera les Bucciali à venir. Trois sont fabriquées, avant que n’arrive en 1929 la TAV 8, bien plus aboutie celle-ci avec son 8-cylindres Lycoming de 144 ch.
Les frères, ambitieux, l’embarquent pour une tournée aux USA où, carrossée en Torpedo et surnommée « La Marie » servira de démonstrateur. Ça marche car un contrat est sur le point d’être signé avec la firme américaine Peerless, mais, patatras, celle-ci disparaît dans le tourbillon du krach boursier de 1929.

Fuite en avant
Loin d’être découragés, les frères Bucciali jettent leurs forces dans une fuite en (traction) avant, vers plus haut de gamme encore, à un moment où la crise économique, qui fait rage aux USA, frappe l’Europe. Cela débouche sur la TAV 16, animée par un moteur… V16 en fait l’association de deux 8-en-ligne… Théoriquement ! Car la motorisation que les visiteurs du salon de Paris 1930 découvrent est factice, magnifiquement réalisée en bois. Est-ce une stratégie pour masquer un vide ?
La voiture ne sera jamais finalisée, mais arrive en 1931 un modèle encore plus imposant, la fameuse TAV 30, dépassant les 5 m de long et 2 m de large. Monstrueusement élégante, elle reçoit un 8-cylindres Lycoming 5,2 l de 130 ch, ce qui lui vaut une taxation à 30 cv, d’où sa dénomination. Carrossée par Saoutchik, montée sur d’immenses roues de 1 m en Alpax (brevet maison), elle laisse bouche bée le public, qui pourtant en a vu d’autres. Elle sera vendue à 4 exemplaires.

En 1932, Bucciali expose la TAV 12, encore plus démesurée et dotée d’un V12 fourni par Voisin, autre spécialiste de l’auto d’exception. Réalisée chez Saoutchik sur un dessin de Paul-Albert Bucciali (très talentueux !), cette berline transforme son gigantisme (6,36 m de long sur un empattement de 4,07 m) en beauté, car grâce à son absence d’arbre de transmission, elle demeure extraordinairement basse.
Un seul exemplaire, parfaitement fonctionnel, sera fabriqué, qui existe toujours après avoir été démantelé puis progressivement reconstitué par des passionnés patients. Aussi appelé 8-32 (oui, presque comme la Lancia Thema), elle a été exposée l’an dernier à Rétromobile, où elle a tapé dans les yeux de nos chers Serge Bellu et Pierre-Olivier Marie.

Magnifique échec
Cette splendeur constitue en tout cas un somptueux bouquet final pour la marque Bucciali, qui disparaît en 1933. Dommage, car avec un peu plus d'investisseurs, elle aurait pu concurrencer les Bugatti, Delage, Delahaye, Cadillac, Rolls-Royce... Les deux frères souhaitaient-ils vraiment vendre des voitures ou s’en servir comme démonstrateurs technologiques ? On ne sait. A moins qu’il ne se soit agi que de matérialiser leurs rêves automobiles les plus fous, sans se tellement se demander comment les commercialiser.
Auquel cas, ce serait d’un panache aussi éblouissant que leurs réalisations. En tout cas, ils ont déposé de nombreux brevets (compresseurs à palettes, boîte de vitesses transversale notamment), qui seront exploités sans leur accord. Après la mort d’Angelo en 1946 (il était âgé de 59 ans), Jean-Albert crée une société par laquelle il tente de faire valoir ses droits sur ces brevets, hélas, sans succès. Il décède en 1981, âgé de 82 ans. Quatre Bucciali existent toujours : joli taux de survie, sachant que dix seulement ont été fabriquées.
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