Autoroutes-Péages : les fortes hausses (illégales ?) à attendre pour 2023
Pour avoir une idée de la flambée des prix sur les autoroutes l’an prochain, Caradisiac a sorti sa calculette. S'ils augmenteront normalement bien moins que ce que le ministre chargé des Transports le laisse entendre, sans sa décisive intervention, ils vont tout de même fortement grimper… Et à un niveau jugé « impensable » par le même ministre, juste après sa prise de fonction en juillet ! Surtout, ces hausses devraient s’appliquer, sans que tous les doutes juridiques qui les entourent aient été purgés. Comme le reste d’ailleurs des interrogations relatives aux contrats de concession des autoroutes… Revue de détails de tous ces points.
À quoi joue bien le gouvernement à confirmer une hausse plausible de 8 % aux péages en février prochain ?
Tout en affirmant œuvrer pour qu’une telle flambée n’intervienne pas, le ministre délégué en charge des Transports, Clément Beaune, ne cesse de rappeler que si l’on applique « les choses de manière automatique » - il parle de « la formule » contenue dans les contrats à la base de cette révision des prix chaque année -, « on pourrait aboutir à des hausses très élevées de 7 à 8 % ».
Et c’est pour éviter cela qu’il serait en pleine négociation depuis cet été avec les autoroutiers.
À quelques jours des annonces officielles sur le sujet, et sur la base du taux d’inflation (6,3 %) à prendre en considération divulgué mardi par l’INSEE, Caradisiac a passé en revue les contrats des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) dites historiques et privées, c’est-à-dire des groupes Abertis, Eiffage et Vinci, qui gèrent plus de 90 % du réseau autoroutier.
Et vraiment, on ne comprend pas d’où peuvent bien sortir ces 8 %, brandis systématiquement par le ministre !
Du fait de la flambée des prix à la consommation (hors tabac), les augmentations à prévoir seront certes très salées.
Mais il n’en reste pas moins qu’elles devraient être bien inférieures à 8 %.
Des augmentations de presque 5 % sur la majorité des réseaux
Selon nos calculs (voir notre tableau récapitulatif ci-dessous), les hausses devraient s’échelonner en moyenne de 4,51 à 5,06 % selon les réseaux de ces SCA historiques et privées.
La « formule » dont parle Clément Beaune dans ses interventions et qui servirait ainsi de base à la majoration des tarifs chaque année, peut se résumer ainsi :
Hausse annuelle des tarifs = 70 % de l’inflation hors tabac* + compensations (facultatives)
*À partir d’un taux d’inflation mesuré d’octobre à octobre, soit 6,3 %, selon les dernières données de l’INSEE.
70 % du taux d’inflation, cela correspond à une hausse de 4,41 %, à laquelle peuvent donc s’ajouter des surplus négociés avec l’État quand celui-ci par exemple :
- augmente les impôts, car leurs contrats « béton » garantissent aux SCA une stabilité totale des prélèvements obligatoires – autrement dit, si elles doivent être taxées davantage, elles peuvent répercuter cette hausse sur les péages ;
- gèle les tarifs, comme en 2015, et en l’occurrence, les usagers se coltinent une majoration pour compenser ce blocage depuis parfois 2019 ; 2023 sera la dernière année de rattrapage, avec des hausses supplémentaires de 0,10 à 0,39 % selon les sociétés. Pour rappel, au total, c’est un demi-milliard d’euros supplémentaires que ce gel va leur coûter par rapport à ce qu’ils auraient dû payer sans cette décision ;
- réclame de nouveaux investissements non prévus dans les contrats initiaux - mais absolument nécessaires et utiles, nous dit-on.
Pour 2023, voilà les travaux sujets à compensation : 0,264 % en plus sur le réseau ASF de Vinci pour l’aménagement du Contournement Ouest de Montpellier (COM) et 0,22 % sur la SAPN d’Abertis, pour l’autoroute sans barrières – dit « en flux libre » – de l’A13, en Normandie.
C’est tout ce qu’on a retrouvé… À moins que les négociations en cours avec Clément Beaune ne débouchent sur un énième plan ?
Interrogé sur le sujet par Caradisiac, pour tenter de bien comprendre les raisons du ministre pour invoquer ces 8 % de hausse, et faire le point sur les travaux à prendre en compte pour chiffrer ces futures augmentations, le ministère des Transports ne nous a pas (encore ?) répondu.
Le cas échéant, bien évidemment, Caradisiac ne manquera pas de revenir sur le sujet pour apporter toutes ses précisions.
Les hausses des péages à prévoir en 2023
SCA historiques privées |
70 % de l'inflation |
Hausse liée au gel de 2015 |
Hausse liée aux travaux |
Hausse 2023 |
|
Eiffage | APRR | 4,41 % | 0,25 % | 4,66 % | |
AREA | 0,26 % | 4,67 % | |||
Vinci | ASF | 0,39 % | 0,264 % | 5,06 % | |
COFIROUTE | 0,10 % | 4,51 % | |||
Escota | 0,25 % | 4,66 % | |||
Abertis | Sanef | 0,11 % | 4,52 % | ||
SAPN | 0,10 % | 0,22 % | 4,73 % |
Selon les calculs de Caradisiac, il faut donc s’attendre à des hausses de plus de 4,50% jusqu'à un peu plus de 5 %, en moyenne.
Certes, on est loin des 8 % annoncés, mais cela va quand même correspondre à de sacrés bonds aux barrières en 2023 !
Tout juste promu ministre, Clément Beaune, interrogé le 15 juillet sur France Info, avait pourtant déclaré « impensable d'avoir des augmentations de péage de 5 ou 6 % »…
Pour rappel, en 2022, les tarifs ont progressé de 2,04 % en moyenne, contre 0,41 % en 2021.
Et pour l’heure, rien ne laisse présager que la situation va s’améliorer pour 2024.
Des hausses illégales ?
Le problème, c’est que depuis deux ans, des experts s’interrogent sur la légalité de ces augmentations annuelles sur la base de l’inflation, comme d’ailleurs des nouveaux travaux.
L’universitaire, professeur de droit public, Jean-Baptiste Vila et le juriste Yann Wels s’en sont expliqués dans une étude juridique parue fin 2020.
Au-delà de ce qui est contenu dans les contrats, la loi interdit « l'indexation automatique des prix de biens ou de services », sauf exceptions, ce qui est théoriquement le cas désormais des autoroutes (car il fut une époque - avant 2013 – où ce n’était pas évident). Mais pour ce faire, il faut un texte d’application.
Or, selon ces deux auteurs, le décret de 1995 - le texte d’application en question - « serait » tout simplement « illégal », depuis le départ.
Dans cette affaire, il y a en effet de sérieux doutes, a aussi reconnu en substance un autre professeur de droit public, Julien Martin, lors d’un colloque organisé sur les concessions autoroutières début 2022 au Sénat.
Certes, Martin n’est pas allé jusqu’à complètement confirmer l’analyse de son collègue Vila, co-organisateur de l’événement avec le sénateur centriste Vincent Delahaye, lui-même rapporteur de la dernière commission d’enquête sur le sujet.
Mais voilà la teneur de ses conclusions : « en toute honnêteté, en toute objectivité (…), si la situation n'est pas illégale avec certitude, en revanche, il y a - et cela, c'est tout à fait incontestable - de très nombreuses incertitudes ».
Et alors, ces incertitudes ont-elles été complètement levées après tout cela afin de pouvoir aborder ces prochaines hausses en toute sérénité ? Pas vraiment…
Seul l’exécutif, questionné à diverses reprises par des parlementaires, a eu l’occasion de répondre à ces critiques.
Et, de son point de vue, il n’y a aucune incertitude qui vaille, et ces hausses liées à l’inflation sont parfaitement régulières.
De gros doutes juridiques sur ces contrats
Qu’en est-il des augmentations liées aux nouveaux investissements réclamés aux sociétés par le gouvernement ?
Elles questionnent tout autant les juristes, non pas cette fois parce que le principe serait contraire au droit (comme pour celles basées sur l'inflation), mais par manque de justification de la part des autoroutiers.
Dans son référé portant sur le dernier grand plan de travaux des autoroutes – le plan de relance autoroutier (PRA) de 2015 - lequel a donné lieu en compensation à de nouveaux allongements de durée des contrats de concession, la Cour des Comptes a également pointé « une définition insuffisante du caractère "compensable" des opérations ».
En clair, il n’est pas dit que tous ces travaux devaient donner matière à compensation…
« Il est quand même étonnant de voir que sur ces autoroutes, ni le gouvernement, ni d’ailleurs le régulateur de l’activité [l’Autorité de régulation des Transports (ART)] ne s’emparent des derniers travaux juridiques pour questionner en profondeur la légalité des contrats ! », s’étonne Jean-Baptiste Vila.
L’information la plus importante à ses yeux à retenir, c’est que l’ancien ministre délégué en charge des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, a lui-même avoué que l’État n’était pas en possession de l’inventaire « précis et actualisé » des biens concédés.
« Il s'agit pourtant d'une obligation légale, prévue par le code de la Commande publique, qui incombe chaque année aux concessionnaires. Ce n’est tout de même pas rien, car c’est cela qui fonde les tarifs et leur augmentation ! »
D’autant que cet inventaire du patrimoine permet justement de retracer toutes les opérations effectuées sur les réseaux : la date d’acquisition des biens, leur valeur comptable, l’état des amortissements…
Sans cela :
- Comment calculer effectivement les diverses compensations décidées quand il y a de nouveaux investissements ?
- Comment chiffrer l’indemnité à verser en cas de rupture anticipée des contrats ou même d'une renationalisation des sociétés concessionnaires, dont on nous explique depuis des années que ce n’est pas envisageable du fait de son coût astronomique évalué en fonction des ministres à 40 ou… 50 milliards (!) d’euros ?
« Franchement, sans cet inventaire, tout cela n’a pas lieu d’être… Juridiquement, c’est abracadabrantesque ! », déplore Vila.
Sur quoi portent exactement les négociations du moment ?
Est-ce que les discussions en cours que Clément Beaune serait donc en train de mener avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) pourraient déboucher sur l’annonce d’un nouveau plan d’investissements, en compensation d’une moins forte hausse sur les autoroutes en 2023, voire d’un nouvel allongement de la durée des contrats ?
C’est la question que se posent les spécialistes du sujet. De fait, pour l’heure, personne n’ose vraiment y croire.
Comme nous le rappelle le sénateur Delahaye, « toute modification de la durée des contrats doit passer devant le Parlement, et lors de notre commission d’enquête nous avons vivement recommandé qu’il n’y ait plus aucun rallongement et que leur terme actuel soit définitif ! »
Les sénateurs ont au contraire démontré que le seuil de rentabilité prévu à la privatisation des SCA en 2006 sera atteint bien avant la fin des contrats prévue entre 2033 et 2036, et c’est pourquoi ils réclament de nouveaux travaux mais « sans aucune compensation ! »
Selon les derniers calculs de Frédéric Fortin, l’expert financier qu’ils ont missionné, ce seuil de rentabilité sera justement atteint l’an prochain, en 2023, avec donc 13 ans d’avance pour Vinci et 12 ans pour Eiffage.
C’est surtout que si les contrats s’avèrent d’ores et déjà rentabilisés, « en droit, ces contrats de concession n’ont plus lieu d’être, relève Jean-Baptiste Vila, sauf à être considérés comme des aides d’État », ce qui serait illégal.
Pour lui, tous ces points mériteraient d’être sérieusement expertisés et discutés. Ce serait la première chose à faire.
Mais à l’ordre du jour du gouvernement, point de résiliation des contrats, ni de réflexion sur ces interrogations juridiques.
Et il paraît très peu probable que Clément Beaune soit en train de négocier des travaux sans compensation pour les autoroutiers.
Invité de l’émission politique Le Grand Jury RTL - Le Figaro – LCI, le 6 novembre, Beaune a notamment indiqué qu’il « [préférait] demander aux sociétés d’autoroutes que d’ici 2023, il y ait des bornes électriques sur toutes les aires de service et qu’elles contribuent à la transition écologique, (…) des investissements de sécurité pour que la route soit plus sûre et moins polluante (…), qu’elles fassent des autoroutes sans péage parce que ça fait moins d’émissions ».
Et tout cela avec une « augmentation [des péages] modérée, on est en train de discuter ».
Conclusion : on peut s’attendre à de nouveau travaux, contre de nouvelles compensations, notamment via des hausses aux péages en février prochain !
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