Pierre Beuzit est ingénieur de l'École Centrale de Lyon et docteur d'État en physique : il a été directeur de la recherche chez Renault de 1998 à 2005 et il est actuellement président d'ALPHEA HYDROGENE (Réseau européen et Pôle de compétence sur l'hydrogène et ses applications). L'activité d'ALPHEA HYDROGENE est centrée sur la thématique de l'hydrogène et de ses applications énergétiques. Son site Internet : www.alphea.com. Pierre Beuzit a publié un livre intitulé "Hydrogène : l'avenir de la voiture?" (co-auteur Laurent Meillaud, Editions L'Archipel, 2007, 203 p., 18,50 €).
L'éditeur a présenté ce livre : "L'abandon du pétrole, qui a permis le fantastique développement de l'automobile, est inéluctable : les ressources en hydrocarbures de la planète seront épuisées dans une quarantaine d'années. Pour le remplacer tout en assurant à l'industrie automobile un développement durable, l'hydrogène offre des perspectives intéressantes. Vecteur d'énergie disponible en quantité inépuisable, il est présent dans nombre de produits courants - dont l'eau. Le véhicule du futur sera électrique, donc silencieux et non polluant : son moteur ne rejettera que de la vapeur d'eau, qui pourra être réutilisée. Pierre Beuzit et Laurent Meillaud analysent les défis de la voiture à hydrogène : la transition à effectuer entre les carburants de substitution et la "pile à combustible", la possibilité d'aménagements techniques à bord de la voiture, mais aussi le coût de cette évolution, la modification de la carte énergétique du monde qui en résultera, ou encore le rôle que la France et ses constructeurs automobile seront appelés à jouer dans cette entreprise... Ils montrent ainsi que des véhicules totalement propres circuleront dans nos rues bien plus tôt que nous ne l'imaginons !"
(Pierre Beuzit, au milieu)
A l'occasion de la parution du livre, le journal "Le Monde" a interviewé Pierre Beuzit. Voici cet entretien :
" Dans votre ouvrage, "Hydrogène, l'avenir de la voiture ?", vous prévoyez pour 2015 le début de la production de masse d'automobiles fonctionnant à l'hydrogène. Pourra-t-on dès cette date faire le plein d'hydrogène à la pompe ?
Pas du tout. Les premières voitures fonctionneront avec des carburants classiques comme l'essence, le diesel ou les biocarburants. Mais, à bord, un nouvel appareil, appelé réformeur, pourrait les transformer en hydrogène, lequel alimenterait une pile à combustible. La propulsion deviendrait ainsi entièrement électrique, et la consommation de carburant passerait des 6 litres aux 100 km atteints par les voitures actuelles, à 3 litres. Cela marquerait le véritable démarrage de la voiture électrique, dont les batteries ne garantissent aujourd'hui qu'une autonomie limitée.
Cette perspective est-elle envisagée par tous les constructeurs automobiles ?
Le pétrole étant à terme condamné, chaque grand constructeur a développé sa propre activité dans l'hydrogène. BMW et Ford ont pris le parti de le brûler dans un moteur à combustion. Mercedes, General Motors, Volkswagen, Fiat, Nissan et PSA sont partisans d'un stockage de l'hydrogène pur, afin d'alimenter une pile à combustible. Renault et Toyota, eux, ont misé sur le réformeur.
Si ce procédé devient opérationnel, c'est donc la voiture qui "produira" son propre hydrogène ?
En quelque sorte. Bien sûr, cette solution n'est que transitoire, puisqu'elle ne rompt pas la dépendance au pétrole ou aux biocarburants. Elle ne supprime pas non plus la pollution, puisque la voiture continue - bien qu'en quantité moindre - à produire du gaz carbonique lors de la transformation du carburant en hydrogène. Mais le recours au réformeur, dans un premier temps, présentera des avantages. Avec ce dispositif, on évite tout d'abord la question problématique du stockage de l'hydrogène à bord de la voiture. Avec 1 kg d'hydrogène, on peut parcourir environ 100 km, mais ce kilo, à la pression atmosphérique, occupe un volume de... 11 m3. D'où la nécessité de comprimer fortement le gaz ou de le réfrigérer, ce qui consomme de l'énergie. Le réformeur permet, par ailleurs, de différer la mise en oeuvre du nouveau réseau de distribution grâce auquel l'hydrogène sera disponible dans les pompes à essence. Une perspective qui ne devrait pas, compte tenu des obstacles à franchir, être réalisable avant 2020 ou 2025.
La conception des automobiles sera-t-elle modifiée en profondeur par cette innovation ?
Au cours des cent dernières années, les voitures n'ont guère évolué dans leurs grandes lignes. En grande partie du fait du moteur thermique à explosion, un composant lourd, encombrant, bruyant et sale. Avec la pile à hydrogène, cette contrainte disparaît. Le réformeur, pas plus gros qu'une valise, tient dans l'emplacement de la roue de secours, et les moteurs électriques peuvent être intégrés à chaque roue. Ce qui laissera une grande liberté aux concepteurs. L'hydrogène offrant une source abondante de courant à bord, il alimentera de nombreux appareils. La voiture de demain pourra être construite comme un petit salon, comprenant des fonctions de communication, d'audio et de vidéo, mais aussi un réfrigérateur et un four à micro-ondes. Il se créera ainsi une continuité entre la vie chez soi et la vie en voiture, d'autant plus évidente que celle-ci sera devenue silencieuse. L'électrification de l'automobile transformera également des fonctions comme l'accélération, le freinage et la direction assistée. Les pédales ne servant plus à rien, elles pourront disparaître. De même le volant pourra-t-il être remplacé par un manche à balai (comme ceux utilisés dans les jeux vidéo), situé n'importe où dans l'habitacle.
Pourrons-nous échapper aux embouteillages ?
La voiture, toujours grâce à l'électricité, tirera un meilleur profit des services de guidage, ce qui améliorera à la fois la mobilité en ville et la sécurité de conduite. Grâce aux téléphones mobiles, il sera possible de faire savoir où l'on est et où l'on va. Le croisement de toutes ces informations permettra de mieux exploiter le réseau routier. Aujourd'hui, aux heures de pointe à Paris, seulement 15 % des voies sont saturées : un meilleur guidage fluidifiera le trafic. De plus, ces informations pourront être utilisées pour éviter les accidents : elles permettront de connaître la trajectoire de chaque automobile et de prévoir ainsi les collisions. Et les panneaux signalétiques eux-mêmes finiront peut-être par entrer virtuellement dans la voiture...
La conduite n'aura donc plus grand-chose à voir avec ce que nous connaissons. Les automobilistes s'adapteront-ils ?
En 2015, les jeunes conducteurs seront les enfants du joystick... Pour eux, cela ne posera pas de problème. Le contrôle de la voiture ne sera plus confiné à un endroit précis de l'habitacle, comme aujourd'hui où tout est concentré autour de la place du conducteur. La conduite se fera en quelque sorte par télécommande. Le comportement de l'automobiliste changera en conséquence. Parce qu'il aura appris à exploiter les nouvelles possibilités d'anticipation offertes par la technologie, que ce soit en matière d'embouteillages ou de risques d'accidents, il se sentira plus libre d'esprit.
Cela semble annoncer une conduite automatique...
Il faudra sans doute attendre 2030 ou 2040 pour que soit maîtrisée la sécurisation indispensable à une conduite automatisée. Mais, d'ici là, des jalons allant dans ce sens apparaîtront. Par exemple, à partir de 2020, le système de GPS Galileo apportera une précision de positionnement des voitures à moins de 1 mètre. Grâce à l'hydrogène, la voiture électrique annonce ainsi une véritable rupture avec tout ce que l'on a connu jusqu'alors en matière d'automobile".
(Source : Le Monde Photo : Agglomération de Forbach)
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