L’égalité entre les hommes et les femmes est le fruit de luttes lentes et douloureuses, à l’équilibre précaire. Si la vigilance est de mise face à nos fragiles acquis, certains femmes se battent encore pour des questions qui aujourd’hui nous dépassent complètement. Oui mesdames : nous sommes en 2015, et pourtant…
Royaume ultra-conservateur, l’Arabie Saoudite est le seul pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire. Pire encore, l’interdiction se voit justifiée par une vision erronée de la femme occidentale. Et que dire de la considération du sexe féminin en général ?
Là-bas, notre sexe est « faible. » En effet, c’est indéniable : boire un café en terrasse, déjeuner au restaurant avec un homme étranger à sa famille, faire du sport en public, se baigner au bord de la plage ou nager à la piscine, voyager sans l’autorisation d’un « tuteur mâle »… Ces libertés ordinaires n’existent tout simplement pas en Arabie Saoudite. Comme se déplacer en vélo ou en auto.
L'émergence de mouvements féministes
Pourtant depuis 2011, des militantes mènent des actions régulières pour obtenir le droit de conduire. Photographe et psychologue, Madeha al-Ajroush est une figure historique de la lutte féministe en Arabie Saoudite. Déjà en 1990, elle prenait outrageusement le volant parmi 47 femmes pour imiter les GI américaines lors de la première Guerre du Golfe. Objectif : marcher dans la rue et conduire sans risquer de se faire arrêter. Se faire respecter. En un mot, vivre…
Et le 17 juin 2011, la cinquantaine éclatante, elle devient l’une des instigatrices du mouvement Women2drive : « Conduire est un symbole pour les Saoudiennes. Ce n’est pas seulement pour aller travailler ou se rendre à l’école, c’est une façon de se revendiquer un statut de citoyenne et d’adresser un message ».
Militantes féministes ou femmes libres dans leur tête à défaut de l’être pleinement, quelques unes osent braver l’interdit. Pendant la manifestation, certaines ont été arrêtées, contraintes de payer une amende de 900 riyals (180 euros). Mais elles étaient reparties libres. D’autres ont dû passer quelques jours en prison, comme cette autre icône de Women2drive : ayant posté une vidéo d’elle au volant de la voiture de son frère, Manal al-Sharif (illustration de l'article) a été incarcérée durant neuf jours. Une affaire qui avait fait grand bruit, provoquant l’indignation de la communauté internationale.
Deux ans après, une autre journée symbolique a tenté de réveiller les consciences. Le 26 octobre 2013, trois Saoudiennes demandent officiellement la levée de l’interdiction, rappelant « qu’il n’existe aucune loi interdisant aux femmes de conduire », et proposant la création d’auto-écoles au féminin. Malheureusement, le mouvement Oct26driving avait été condamné la veille même par les autorités, promettant des sanctions exemplaires pour les impertinentes qui oseraient manifester à Ryad. Quinze d’entre elles ont encore été arrêtées dans la capitale. Si la menace des cinq ans de prison n’a pas été appliquée, elles ont été soumises à une amende… et ont dû promettre de ne pas recommencer ! Mais le 28 décembre suivant, elles sont redescendues dans la rue. Une fois de plus. En vain.
Une société entière à (r)éveiller
Inlassablement, les Saoudiennes continuent de revendiquer. De négocier. Parce qu’elles savent que leur combat ne se gagnera pas par la force, mais par la discussion. Car au final, il ne s'agit pas de convaincre quelques têtes au sommet, mais un royaume tout entier. Le pouvoir n'imposera jamais une décision qui ne reçoit pas l'approbation de ses sujets, dont les mentalités peinent à s’émanciper sous le joug d’une religion pratiquée de façon rigoriste.
Aujourd’hui, le combat continue.
Il y a un an, un homme de 28 ans a laissé le volant à sa femme. Les époux ont été arrêtés en avril 2013, puis relâchés sous caution : le mari a payé une amende de 900 riyals, soit 240 dollars. Sa femme aussi a dû payer une contravention, mais pour un défaut de permis de conduire. Le véhicule a été confisqué pendant sept jours, et la police a contraint le couple progressiste à signer un document attestant qu’ils ne recommenceraient plus.
Loujain Hathloul au volant de sa voiture
En décembre dernier, une femme a été bloquée 24 heures à la frontière pour avoir voulu rentrer dans son pays en voiture. Titulaire d’un permis de conduire « valide dans tous les pays du CCG » (à savoir les six monarchies du Conseil de Coopération du Golfe dont fait partie l’Arabie Saoudite), Loujain Hathloul avait twitté ironiquement : « Si quelqu’un m’apportait un cheval ou un chameau jusqu’à la frontière, peut-être serais-je autorisée à rentrer ? » Ce à quoi le ministère de l’Intérieur saoudien avait répondu : « Nous appliquerons avec fermeté les règlements contre quiconque contribuera à violer la cohésion sociale ».
Car c’est bien de cela dont il s’agit, la société et ses traditions ancestrales : officiellement, aucun texte islamique ou décision judiciaire ne mentionne une quelconque interdiction. Alors pourquoi les femmes n’ont-elles toujours pas le droit de prendre le volant ? Comment justifier cela ?
« Les femmes occidentales conduisent car elles ne craignent pas de se faire violer »
Dernier fait en date, et non des moindres. Le 11 janvier 2015, l’historien Saleh Al-Saadoon a créé la polémique sur un plateau de télévision saoudien. Invité par la présentatrice Nadeen Bdeir dans le cadre d’une émission évoquant les droits des hommes et des femmes, le chercheur a tenté une explication… déconcertante.
Selon lui, « les femmes occidentales conduisent parce qu’elles ne craignent pas d’être violées », notamment si leur voiture tombe en panne au bord de la route. Une affirmation choquant la présentatrice : « Attendez, qui vous dit qu’elles ne se soucient pas de se faire violer sur le bord de la route ?!! » Ce à quoi l’historien a sereinement rétorqué : « Ce n’est pas important pour elles au-delà des dégâts sur leur morale. Dans notre cas, le problème est de nature sociale et religieuse. »
Nadeen Bdeir contre-attaque : « Qu’est-ce qu’un viol si ce n’est pas un violent coup porté à la moralité des femmes ? Cela va bien au-delà des seuls dommages sociaux ! » Un argument qui n’a pas ébranlé l’homme, pour qui les femmes saoudiennes sont traitées « comme des reines », pouvant apprécier d’être conduite en voiture par tous les hommes de leur famille « à leur service ».
L’Arabie Saoudite, ce pays où les femmes n’ont pas le droit de conduire
Enfin, alors que la présentatrice évoque la possibilité des femmes de se faire violer par leur chauffeur, « l’intellectuel » propose une solution pour le moins surprenante : « La solution est d’engager des chauffeurs étrangers de sexe féminin pour conduire nos femmes. » Une proposition qui a provoqué l’hilarité de l'animatrice, prenant sa tête dans les mains : « Sérieusement ?!!!! »
Un sexe écrasé sous le poids des traditions, entretenues par quelques hommes tournant la religion à leur seul avantage avec - sans mauvais jeu de mots - une certaine mauvaise foi… La route est encore longue pour les femmes saoudiennes, qui devront encore faire preuve de patience pour espérer un jour se déplacer librement sur leur territoire.
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